La question du traité budgétaire s’inscrit dans une interrogation plus vaste : comment réorienter la construction européenne, dans le cadre du rapport de force existant en France et en Europe ? Ce rapport de force entre la gauche réformiste et la droite conservatrice libérale est en réalité ambivalent.

Du côté négatif, il y a le bras de fer économique : notre dette publique, – héritée des gouvernements précédents – atteint 90% de notre PIB et est détenue aux deux tiers par des investisseurs étrangers. En 2013, nous devrons lever 150 milliards d’emprunts nouveaux sur les marchés financiers. Si nous continuons à emprunter à 2,3% à 10 ans (et beaucoup moins sur les emprunts courts), cette situation est maîtrisable. Mais si nos taux d’intérêt montent à 5 ou 6%, comme c’est le cas en Italie ou en Espagne, nous avons de gros soucis à nous faire. Il est possible qu’en tout état de cause, la «défiance» des marchés financiers se porte à son tour sur la France. Mais si le gouvernement français refusait de ratifier le TSCG, c’est certain.

Côté négatif aussi, il y a le rapport de force politique : vingt-cinq Etats de l’Union européenne (UE) ont signé le Traité budgétaire et treize l’ont déjà ratifié. Cela n’a rien de surprenant, puisque vingt-et-un d’entre eux, sur vingt-sept, sont gouvernés par des majorités de droite. Il ne suffit pas au gouvernement français de taper du poing sur la table pour être obéï. Toute réorientation de la construction européenne est-elle donc vouée à l'échec et sommes-nous condamnés à l’austérité à perpétuité et au «scénario japonais» d’une stagnation prolongée ? Que nenni ! Car le côté positif du rapport des forces est également fourni : il y a tout d’abord la «pédagogie par les faits» et le subtil travail qu’elle opère dans les têtes. Même les libéraux les plus obtus constatent, après quatre années d’expérience, que la généralisation de plans d’austérité de plus en plus durs ne débouche pas sur le désendettement et le retour à la compétitivité des pays qui s’y trouvent soumis, mais sur leur enlisement dans la récession et leur surendettement aggravé. L’explosion du chômage et l’extension de la pauvreté qui s’ensuivent provoquent la révolte sociale et la radicalisation politique, qui menacent le projet européen en son cœur.

L’idée qu’on n’arrivera à rien sans un retour à la croissance, défendue par François Hollande à chaque sommet européen, fait son chemin : les délais imposés à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne pour réduire leurs déficits et revenir à l'équilibre budgétaire ont été prolongés par les autorités européennes. Aujourd’hui, c’est le FMI qui recommande d’alléger et d'étaler dans le temps les politiques d’ajustement budgétaires en Espagne. En contradiction avec la lettre des traités, la BCE s’engage à racheter «en quantité illimité» les dettes publiques des pays de l’Eurozone en difficulté, afin de fixer un plafond à leur taux d’intérêt et assurer leur solvabilité. L’Union bancaire, garante de la stabilité financière de l’Europe, a fait plus de progrès en deux mois qu’en dix ans. Des nouvelles «ressources propres» – la taxe sur les transactions financières, les euro-obligations pour projets... – sont décidées, pour renforcer le budget de l’Union. Une «Feuille de route» de l’Europe vers l’Union politique est préparée par le Président Van Rompuy et ses trois mousquetaires (Draghi, Barroso, Juncker) pour décembre 2012.

Dans ce contexte, il ne faut pas considérer les contreparties obtenues par François Hollande en échange de la ratification du «Traité budgétaire» par la France, comme un point d’arrivée – un solde de tout compte –, mais comme un point de départ. La «gauche radicale» a tort de dénigrer ces contreparties : le plan de relance mobilise 120 milliards d’euros (240 milliards, par effet de levier). Il sera suivi d’autres plans de croissance. La Taxe sur les Transactions Financières et les ProjectsBonds viendront augmenter ces moyens de financement des grands programmes de l’UE : infrastructures transcontinentales et investissements dans «l'économie verte». L’Union bancaire étend les missions de la BCE à la supervision des banques européennes, en même temps qu’elle assure les dépôts des petits épargnants et institue un fonds de résolution des faillites bancaires.

Ces pas en avant en appellent d’autres. Un front se forme, englobant les peuples d’Europe du Sud – et, de plus en plus, leurs gouvernements –, les syndicats, les grandes associations, les gouvernements progressistes, pour donner la priorité à la croissance. Pour réorienter et faire avancer l’Europe, il faut amplifier et consolider ce rassemblement, lui proposer de nouveaux objectifs, en aucun cas, le désagréger, en prenant des postures radicales qui auraient pour seule conséquence d’aggraver la crise des dettes souveraines et bancaires en Europe.

Henri Weber député européen, secrétaire national adjoint à la mondialisation