Quel gouvernement économique européen ? publié dans Libération

Pour redonner un second souffle à l’Europe, François Hollande propose un «pacte de responsabilité, de croissance et de gouvernance». On voit bien ce que désignent les deux premiers termes, un peu moins ce que recouvre le troisième. La «responsabilité» consiste à faire face à l’excès d’endettement qui frappe plusieurs pays européens, dont le nôtre, mais aussi à la récession.

Les socialistes y répondent par une stratégie différenciée de sortie de crise : les Etats excédentaires du nord de l’UE relancent leur consommation et leurs investissements pour servir de locomotive à l’Europe ; les Etats surendettés adoptent une trajectoire pluriannuelle de retour à l’équilibre budgétaire. La «croissance» est recherchée par la mise en œuvre de politiques économiques communes - énergie, infrastructures… - financées par la Banque européenne d’investissement (BEI), les obligations européennes pour projets (europrojects) et de nouvelles ressources propres (taxes sur les transactions financières, carbone…). Mais la «gouvernance» ?
On est là au cœur de la crise : le principe de la décision à l’unanimité sur les questions qui fâchent fait de l’UE une «machine incapacitante». Dès le début, le PS (Pierre Bérégovoy en 1992) a demandé qu’il y ait un pilote dans l’avion : un gouvernement économique européen. C’était alors un mot tabou. Nul n’en conteste plus le principe, pas même Angela Merkel. Le débat porte désormais sur son périmètre, ses fonctions, son architecture institutionnelle. S’agissant du périmètre, l’amélioration de la gouvernance économique européenne doit concerner idéalement tous les Etats de l’Union, et pas juste ceux de l’Eurogroupe. Mais les Etats les plus «eurovolontaires», ceux qui veulent aller plus vite et plus loin dans le sens de l’intégration, doivent pouvoir le faire dans le cadre des «coopérations renforcées» et des accords intergouvernementaux. La progression de la construction européenne se fera de façon différenciée, par cercles concentriques. Avec l’ambition d’accueillir à terme tous les Etats membres dans le cercle le plus intégré.
Les fonctions du gouvernement économique, elles, se résument à trois : coordination des politiques budgétaires des Etats membres, mise en œuvre des politiques communes, conduite d’une politique active des changes. Quant à l’architecture institutionnelle, elle doit respecter la spécificité de la construction européenne : pour les socialistes, il s’agit d’une «fédération d’Etats-nations», plus qu’une simple confédération, mais moins qu’un Etat fédéral transnational.
Les trois piliers de l’autorité européenne doivent donc être simultanément renforcés. La Commission européenne doit être le siège de la gouvernance économique. Garante des traités, c’est elle qui examine les budgets nationaux, avant leur adoption, dans le cadre des «semestres européens» ; communique ses recommandations aux Etats membres, et demande des sanctions au Conseil européen. Pour assumer ce rôle, elle doit gagner en efficacité et en légitimité démocratique. Son président doit être élu par le Parlement de Strasbourg, parmi les têtes de liste des partis européens (PSE, PPE, Verts…). Ces derniers doivent aller aux élections européennes, non seulement avec un programme de législature pour l’UE, mais aussi avec un candidat à la présidence de la Commission pour incarner ce programme. Il faut revenir sur la décision funeste, emportée par Sarkozy en 2008, qui garantit un commissaire à chaque Etat membre de l’Union, privilégier la compétence sur la représentativité. Fort de la légitimité que lui donnera son élection au suffrage universel indirect, le président de la Commission se dotera de vice-présidents, de rang ministériel, sur le modèle de l’actuelle haute représentante aux Affaires extérieures de l’UE (Mme Ashton). En priorité, il fera du commissaire aux Affaires économiques et financières le ministre de l’Economie et des Finances de l’UE : à la fois vice-président de la Commission, président de l’Ecofin (Conseil européen des 27 ministres de l’Economie et des Finances des Etats membres) et président de l’Eurogroupe, participant de droit au Conseil européen.
Dans l’Europe à plusieurs vitesses dans laquelle nous sommes entrés, le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement joue un rôle irremplaçable de chambre haute, représentant les nations. Les sujets sur lesquels il décide à la majorité qualifiée doivent être étendus, la périodicité de ses réunions augmentée. Le Parlement européen devrait pour sa part pleinement intégrer le processus décisionnel de la gouvernance économique européenne, grâce à l’adoption de la procédure de codécision pour les grandes orientations de politiques économique et budgétaire. Les Parlement nationaux devraient y être associés, via leurs commissions compétentes.
Cette question de la gouvernance est devenue la clé de voûte de la crise européenne, c’est elle qui conditionne la politique de mutualisation et de monétisation des dettes souveraines. L’option intergouvernementale choisie par Sarkozy pour promouvoir en réalité un directoire franco-allemand débouche sur le «trop peu, trop tard» qui caractérise les décisions des sommets européens depuis deux ans. Elle accouche de l’Europe «austéritaire» et disciplinaire voulue par Merkel. La gauche européenne doit mettre à profit la crise paroxystique que traverse notre Union pour relancer la démarche communautaire.
Henri Weber député européen, secrétaire national adjoint à la mondialisation.