Juste échange plutôt que démondialisation publié dans Libération
La réponse des socialistes à la demande de protection qu’expriment les citoyens européens face aux dégâts de la mondialisation libérale, ce n’est pas le retour au protectionnisme autarcique du siècle passé, fût-il continental. C’est le «juste échange».
Le «fair exchange», comme dit Poul Rasmussen, président du Partis socialiste européen, poursuit trois objectifs : maintenir les pays européens dans le peloton de tête des nations les plus avancées ; favoriser le développement des pays du Sud ; préserver notre écosystème. Pour cela, il faut combiner des politiques défensives et offensives.
Dans l’ordre défensif, il faut exiger le respect des principes de réciprocité et d’équilibre dans les échanges avec les pays développés et avec les «grands émergents». Si la Chine peut construire un tronçon de l’autoroute Berlin-Varsovie, il faut que les entreprises européennes puissent avoir accès de la même façon aux marchés publics chinois. Si la Chine exporte pour 282 milliards d’euros de marchandises en Europe en 2010, il faut que les exportations des pays européens atteignent à peu près la même valeur et non 130 milliards, comme c’est aujourd’hui le cas.
Ces principes nous autorisent à défendre nos industries naissantes, au nom de la préservation de l’avenir, et nos activités stratégiques, au nom de la défense de notre souveraineté, comme le font d’ailleurs sans complexe nos partenaires commerciaux. Avec les pays en voie de développement et en particulier avec les pays les moins avancés (PMA), nous devons au contraire accepter des rapports commerciaux asymétriques, en leur ouvrant largement nos marchés.
En second lieu, il faut poursuivre et amplifier la bataille des normes. L’Union européenne est une grande puissance normative : elle représente 33% du PIB mondial et 500 millions de consommateurs. Elle dispose d’une puissance de négociation considérable pour imposer ses normes comme condition d’accès à son marché : normes techniques et sanitaires, mais aussi normes sociales, environnementales, humanitaires… établies par les conventions internationales et défendues par les agences spécialisées de l’ONU et les ONG.
Au Parlement de Strasbourg, nous agissons pour que ces normes non marchandes soient intégrées aux traités commerciaux et conditionnent l’accès aux systèmes de préférences généralisées. Le futur accord de libre-échange avec l’Inde, par exemple, devra intégrer l’interdiction du travail des enfants, conformément aux Convention 138 et 182 de l’Organisation internationale du travail (OIT). L’aide apportée à la Tunisie et à l’Egypte, en mai, est conditionnée au renforcement de l’Etat de droit et des libertés fondamentales dans ces deux pays…
En troisième lieu, il faut recourir davantage à l’arsenal de l’OMC contre toutes les concurrences déloyales : faire jouer les clauses antidumping, antisubventions, de sauvegarde, la répression des contrefaçons… faciliter et soutenir l’accès des PME à ces procédures.
En quatrième lieu, il faut que, en cas de délocalisation, les entreprises multinationales soient astreintes à rembourser les aides reçues et à réindustrialiser le site qu’elles ont quitté. Ces politiques défensives sont nécessaires, mais la véritable protection des Européens doit être offensive : si les Allemands, les Scandinaves, les Néerlandais, les Autrichiens bénéficient de balances commerciales en excédent et de croissances élevées, malgré la concurrence des pays à bas coûts de main-d’œuvre, l’euro fort, la crise des dettes souveraines, c’est en raison de la bonne spécialisation de leur économie, l’ampleur de leur effort de recherche et d’innovation, la qualité de leur main-d’œuvre, la densité de leur tissu de PME, en particulier de «grosses PME», innovantes et exportatrices. Ces pays peuvent être gagnés au juste échange non à un protectionnisme de repli.
Cette stratégie de l’excellence doit être pratiquée à l’échelle européenne. Encore faut-il que les Etats membres s’en donnent les moyens financiers, en dotant l’UE de ressources propres : euro-obligations pour leurs projets, taxe sur les transactions financières… mais aussi les moyens institutionnels. Au «mécanisme de stabilisation financière» et aux agences de supervision, institués en 2010, il faut ajouter un gouvernement économique européen, capable de coordonner les politiques budgétaires et macroéconomiques des Etats membres, mettre en œuvre une stratégie de croissance continentale et écologique, conduire avec la BCE une politique active des changes. Le juste échange n’est pas une «démondialisation». La gauche doit se garder de semer des illusions, elles lui reviennent toujours en boomerang. La «seconde mondialisation» que nous vivons depuis les années 90 ne régressera pas, elle n’en est qu’à ses débuts. Les forces qui la propulsent - l’explosion démographique et l’industrialisation des pays du Sud, la révolution de l’Internet et des transports, la fragmentation et l’internationalisation de la chaîne de production - n’ont pas fini de produire leurs effets. Au cours de la prochaine décennie, 90% de la croissance mondiale se fera dans les pays émergents. Première puissance économique et commerciale du monde, l’UE doit être présente sur les marchés nouveaux. On ne reviendra pas au temps où l’activité économique se confinait au territoire national, où n’existaient ni internautes ni navires porte containers. Où la Chine végétait sous le joug maoïste, et l’Amérique latine sous la férule des généraux.
Le retour au pré carré national, ou même européen, n’est pas une solution aux problèmes que nous pose l’avènement du capitalisme financier mondialisé. L’UE doit conjuguer ouverture et protection, comme le font ses partenaires et concurrents, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Japon… Les socialistes ne sont pas antimondialistes, ils sont altermondialistes. Ils ne sont pas pour restreindre le commerce international, ils sont pour le réguler. Ils ne sont pas pour le libre-échange, mais pour le juste échange.