Une nouvelle génération politique publié dans Libération

La mobilisation des lycéens et des étudiants survivra-t-elle aux vacances de la Toussaint sous des formes nouvelles ? Tout semble indiquer que oui, car les trois conditions requises pour que se cristallise un grand mouvement de la jeunesse sont réunies.


La première de ces conditions est que l’image de la société des pères se soit suffisamment ternie aux yeux de la jeunesse, pour que son processus d’auto-affirmation générationnelle s’effectue, non seulement par affirmation de soi, de son identité propre, mais encore par contestation, opposition, voire rejet de l’ordre existant. La deuxième est que surgisse un conflit emblématique, un enjeu, sur la scène politique nationale, qui incarne le contentieux accumulé et joue le rôle de catalyseur et d’unificateur de la mobilisation. La troisième, enfin, est que la crise de l’institution scolaire et universitaire crée un climat favorable à la propagation du mouvement.
A la rentrée scolaire et universitaire de 2010, ces trois conditions étaient au rendez-vous. L’image de la société des adultes s’était considérablement dégradée depuis 2007, en raison de la crise économique, mais plus encore de la collusion entre le pouvoir sarkozyste et le monde de l’argent. Elle était celle d’une société d’injustices croissantes, à l’instigation d’un président de la République complaisant avec les puissants et dur avec les faibles. Le feuilleton de l’été - affaire Woerth-Bettencourt, chèque Tapie, expulsions des Roms - a alourdi encore ce tableau.
La réforme des retraites symbolisait cette société inique. Même un collégien de 4e est capable de comprendre que si l’âge légal de départ à la retraite est repoussé pour tous à 62 ans, un ouvrier entré dans la vie active à 18 ans paiera 44 années de cotisations alors qu’un cadre entré à 25 ans n’en cotisera que 41 tout en bénéficiant d’une meilleure espérance de vie. Quant à la crise de l’institution scolaire, elle est chronique, dans la majorité des établissements et a donné lieu en 2009 à des occupations d’université prolongées.
Aussi, lorsque les manifestations récurrentes et de plus en plus amples, organisées par les syndicats se sont heurtées à la fin de non-recevoir du gouvernement, décidé à passer en force, c’est tout naturellement que les lycéens, d’abord, les étudiants, ensuite, sont entrés dans le mouvement. La consternation des leaders de la droite face à cette expression de solidarité intergénérationnelle, là où ils attendaient au contraire un conflit de génération, est assez réjouissante.
Vous allez contre vos intérêts, expliquent-ils aux lycéens, si vous tenez vraiment à descendre dans la rue, manifestez au contraire pour le report de l’âge de la retraite à 62 ans, sinon vos pensions seront misérables.
Ce que ne comprennent pas ceux qui tiennent ce langage, c’est que la jeunesse ne descend pas dans la rue pour défendre ses intérêts économiques dans quarante ans, comme futurs retraités. C’est le cadet de ses soucis, quoi qu’en disent certains de ses porte-parole.
Elle se saisit de la question des retraites comme moyen pour lutter contre l’injustice, et comme occasion de s’opposer à Nicolas Sarkozy et à ses embardées xénophobes et autoritaires de l’été.
Le mot d’ordre central des manifestations n’était-il pas : «Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère, de cette société-là, on n’en veut pas» ?
Reste que la jeunesse scolarisée n’est qu’une partie de la jeunesse. Un autre acteur adolescent juvénile s’est constitué, depuis 1968, avec la ghettoïsation et la relégation d’une partie des jeunes, issus de l’immigration, concentrée dans les «cités sensibles». Cette autre fraction de la jeunesse, minoritaire mais significative, a accumulé des griefs autrement plus intenses contre une société où elle ne trouve pas sa place. Son auto-affirmation générationnelle est beaucoup plus conflictuelle et violente.
Pour le mouvement de la jeunesse, cette violence indiscriminée et apolitique constitue un problème majeur, car elle discrédite les mobilisations aux yeux de l’opinion. Le gouvernement l’a parfaitement compris qui en joue en virtuose. La politisation des jeunes des cités, leur encadrement et leur éducation citoyenne par les associations, les partis, les syndicats ; la lutte contre leur instrumentalisation par les caïds ou leur embrigadement par les imams ; l’intégration de leurs revendications et de leurs mobilisations dans les luttes d’ensemble de la jeunesse et de la gauche, sont une des clés de l’avenir. L’avenir de la mobilisation des lycéens et des étudiants contre la réforme des retraites est indexé sur les suites de la mobilisation syndicale.
En tout état de cause, les «événements» de l’automne 2010 vont marquer profondément et durablement la société française. Une nouvelle génération politique est née et elle est née à gauche. En mars 2011 et en mai-juin 2012, elle saura trouver le chemin des urnes.
Henri Weber député européen, secrétaire national adjoint à la mondialisation.