La primaire n'est pas la fin du parti de militants publié dans Le Monde

Le nouvel âge de la démocratie dans lequel nous sommes entrés ne rend ni obsolètes, ni superflus les partis de militants.

Le nouvel âge de la démocratie dans lequel nous sommes entrés – démocratie médiatique et sondagière, certes, mais aussi individualiste sceptique, et passablement impotente – ne rend ni obsolètes, ni superflus les partis de militants, mais exige de leur part une rénovation à tous les étages : rénovation des idées, du programme, de l'organisation, des pratiques militantes.

Les "primaires à la française" procèdent de cet effort. Elles se distinguent des "primaires à l'italienne", en ce qu'elles visent à désigner le candidat des socialistes à la magistrature suprême, et non celui de toute la gauche. Les "primaires de toute la gauche", en France, c'est le premier tour de l'élection présidentielle.

Elles se distinguent des "primaires américaines", en ce qu'elles ne se déroulent pas progressivement, région par région, pendant six mois, mais au niveau national, au terme d'une brève mais intense confrontation entre les candidats.

Les adversaires de cette audacieuse initiative lui opposent deux critiques qui ne manquent pas de pertinence. Si ce ne sont plus les partis qui désignent leurs candidats aux mandats électifs, et en premier lieu à l'élection présidentielle, disent-ils, alors ils dépériront, faute de fonction. "A quoi bon militer dans un parti si chaque candidat développe son propre projet et si les adhérents sont dépossédés de cette prérogative politique et de cette gratification symbolique qu'est le pouvoir d'investiture ?", écrit, par exemple, Rémi Lefèbvre, le 30 septembre dans Libération.

Les primaires ouvertes, ajoutent-ils, sont une capitulation des politiques devant la démocratie d'opinion. Elles se bornent à ratifier les classements établis par le système médiatico-sondagier, selon des critères qui lui sont propres.

Ces objections, nous nous les sommes faites à nous-mêmes, à l'occasion de notre "Convention nationale sur la rénovation" en juillet 2010, à partir d'une réflexion sur les expériences de la gauche italienne. Il en est résulté les primaires "à la française", en cours d'accomplissement.

Celles-ci démontrent qu'on peut élargir aux sympathisants et aux électeurs de gauche le droit de désigner le candidat socialiste à l'élection présidentielle sans pour autant dévaloriser le rôle du parti et celui des militants.

Depuis que cette décision a été prise en automne 2009, le PS a plutôt mieux assumé que par le passé les grandes fonctions qui incombent au parti dominant de la gauche dans notre démocratie.
Fonction d'élaboration programmatique : quatre conventions nationales et de nombreux forums thématiques ont été tenus, avec l'aide des think tanks socialistes – Laboratoire des idées, Fondation Jean-Jaurès, Terra nova… – et des commissions spécialisées du Parti socialiste (PS).

Elles ont débouché sur le projet socialiste pour 2012-2017, adopté à l'unanimité, en mai 2011. Dans leurs débats publics, les candidats se sont largement inspirés de cet acquis commun, y compris Arnaud Montebourg, qui a appelé "démondialisation", ce que le projet désignait par "juste échange".

Les militants et les élus ont joué un rôle déterminant dans la primaire proprement dite, en assurant son organisation matérielle et en animant les débats locaux entre les représentants des divers candidats. Loin de passer sous la table, le PS a donné aux Français une belle image de la politique et de lui-même. Des millions de citoyens ont écouté ses propositions dans les médias et participé à ses réunions publiques.

Simultanément, le PS a assumé ses fonctions politiques d'opposition et de proposition au Parlement, ainsi que l'exercice du pouvoir local, d'autant plus honorablement qu'il n'était plus déchiré par des querelles internes.

Il s'est acquitté de sa fonction électorale de sélection des candidats aux élections municipales, départementales, européenne, sénatoriales… et de mobilisation des électeurs pour assurer leur victoire, avec les résultats que l'ont sait. Jamais, au cours de son histoire déjà séculaire, le socialisme français n'a compté autant d'élus.

Les instituts de sondage et les médias ont évidemment joué un grand rôle dans le déroulement des primaires. Comment en serait-il autrement dans notre vidéocratie ? Ils ont dissuadé un présidentiable aussi aguerri que Laurent Fabius de se présenter ; encouragé de "bons clients" des médias comme Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal à le faire. Mais qui peut prétendre que ces candidats n'ont d'autre légitimité que médiatique et sondagière ? Qu'ils ne disposent pas chacun d'une légitimité politique fondée sur leur parcours militant et leurs réalisations ? Qu'ils n'incarnent pas des sensibilités distinctes et représentatives du parti socialiste et de la gauche française ? Le fait que les deux favoris – et probablement les deux finalistes – de cette confrontation, soient tous deux d'anciens premiers secrétaires du PS atteste de la force de la ressource partisane dans le capital politique des candidats.

Le système médiatico-sondagier influe grandement sur l'élection présidentielle quel que soit le mode de désignation des candidats. Il a joué un rôle bien plus grand en 2007, lors des "primaires fermées", qu'en 2011, avec des "primaires ouvertes", mais maitrisées et organisées.

Les primaires ne sont pas une panacée. Elles ne dispensent nullement le Parti socialiste d'accomplir la rénovation qu'appelle le bouleversement de son écosystème politique.

Elles cherchent à répondre à deux préoccupations distinctes : associer le maximum de sympathisants et d'électeurs socialistes à l'activité politique : non seulement à l'élaboration des propositions du parti, mais aussi au choix de son champion pour la "reine des batailles". En espérant ainsi pouvoir bénéficier de leurs lumières mais aussi de leur mobilisation personnelle dans une campagne où le porte-à-porte jouera un rôle décisif.

Elles constituent aussi une réponse à la crise aigue de leadership que le PS a subi après juin 2002, et qui a atteint son paroxysme en novembre 2008, au lendemain du calamiteux Congrès de Reims. Faute de s'accorder sur un leader, les socialistes ont eu l'instinct de conservation de s'entendre sur une procédure de désignation qui laissait ouvertes les chances de chacun. S'en sont suivies deux années de calme relatif, que Martine Aubry a mises à profit pour remettre le Parti au travail et permettre son redressement. Si les deux-tiers des militants ont voté pour la "primaire ouverte" que leur proposait leur direction, c'est surtout pour cette deuxième raison.

Le PS peut reconnaitre des droits à ses sympathisants et à ses électeurs sans renoncer à assumer ses fonctions majeures, sans "capituler devant la démocratie d'opinion", sans les réduire au chômage technique, ravalés au rang de "supporters".

Faut-il pour autant étendre ce système de désignation à d'autres mandats électifs ? Sans doute, à condition, là aussi de définir des modalités qui permettent au parti et aux militants de tenir pleinement leur rôle. C'est possible, la primaire présidentielle que nous expérimentons, l'atteste. Les socialistes français ne feront pas l'économie de ce débat.

Henri Weber est l'ateur de La nouvelle Frontière : Pour une social-démocratie du XXIe siècle" (Seuil, Août 2011).

Henri Weber, député européen (PS)

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