Pour transformer le PS en parti réformiste moderne publié dans Libération
La défaite électorale des socialistes a suscité deux réactions contestables. La première émane de citoyens qui aiment tellement le Parti socialiste qu'ils souhaiteraient en avoir deux ! Les échecs électoraux du PS, nous expliquent-ils, tiennent à ce qu'il abrite en réalité plusieurs partis en un : la vieille gauche marxiste, d'une part ; et une gauche moderne qui brûle de mettre les horloges du socialisme à l'heure de la mondialisation, d'autre part. La refondation, selon ceux-là, consisterait à séparer ces deux gauches dans deux partis distincts.
D'autres proposent de remédier à la faiblesse du PS par un retournement d'alliance : puisque l'union des partis de gauche ne permet plus d'obtenir la majorité, disent-ils, il faut lui substituer une alliance avec le centre de François Bayrou, quitte à aider le Modem à exister.
La bonne réponse est ailleurs : le Parti socialiste ne doit ni se scinder en deux - pour le plus grand profit de Sarkozy - ni chercher son salut dans le soutien de centristes introuvables. Il lui faut au contraire mobiliser toutes ses ressources pour construire le grand parti réformiste moderne dont la France a besoin. Un parti qui regrouperait toutes les familles de la gauche réformiste, de la gauche radicale aux républicains de progrès, et qui rassemblerait par ses propres forces au moins 35 % des électeurs, comme le font la plupart de ses homologues européens.
Pour atteindre cet objectif, le PS doit entreprendre une véritable reconstruction de lui-même. Il ne doit pas se résigner à devenir une simple machine électorale à demi professionnalisée, comme il en a pris le chemin, mais assumer pleinement, au contraire, toutes les fonctions qui incombent au parti dominant de la gauche.
Fonctions intellectuelles : le PS doit s'investir mieux qu'il ne le fait dans le travail d'élaboration théorique, en liaison avec les chercheurs, afin de proposer aux Français une vision du monde, de ses futurs possibles, de son avenir souhaitable. Les classes populaires ont besoin de repères, d'une grille de lecture de leur réalité : si le présent leur semble obscur et l'avenir opaque, elles peuvent prêter l'oreille à tous les démagogues. Le Parti socialiste doit assumer un rôle d'éclaireur de l'avenir, de porteur d'intelligibilité. Les forums et les conventions thématiques qu'il a programmés pour les prochains mois sont un premier pas dans ce sens. Le renouvellement et la réactivation de ses commissions spécialisées doivent en constituer un second.
Le PS doit s'engager davantage dans la lutte idéologique. Là aussi, la droite nous donne une leçon : elle nous rappelle que les batailles politiques se gagnent ou se perdent d'abord dans les têtes. Que la lutte idéologique est un vrai combat, qui s'organise dans la durée et exige des instruments, une stratégie. Notre amateurisme en la matière a permis à Sarkozy de faire souvent prévaloir son interprétation de la crise française - «trop d'impôts, trop de droits, trop d'Etat» - et de frayer la voie à ses solutions.
Fonction programmatique : le PS doit s'interdire de botter en touche, comme il l'a fait trop souvent sur les questions qui divisent son électorat. La modernisation démocratique de la société qu'il préconise diffère de la modernisation libérale- autoritaire que conduit Nicolas Sarkozy. Puisque les objectifs du socialisme démocratique - plein-emploi, protection des individus contre tous les risques sociaux, augmentation régulière du pouvoir d'achat, démocratie sociale, qualité de la vie. - ne sont plus accessibles par les voies et les moyens classiques de la social-démocratie, le programme socialiste doit définir les moyens nouveaux qui permettront d'approcher ces objectifs dans les conditions d'un capitalisme mondialisé et dominé par la finance.
La tournée des capitales qu'effectueront cet automne des délégations de socialistes français, en vue d'apprendre des performances - mais aussi des contre-performances - de leurs homologues européens, s'inscrit dans cette quête d'une «nouvelle voie». Fonction électorale : le Parti socialiste doit garder la maîtrise de la désignation de ses candidats aux divers mandats électifs, selon ses critères politiques propres - fiabilité, implantation, parité, représentativité. Il ne doit pas se laisser dicter ses choix par les sondages et les médias. Ce qui n'exclut pas de mieux associer les électeurs à ses décisions.
Fonction organisationnelle, enfin : le Parti socialiste doit étoffer, rajeunir, féminiser, diversifier son corps militant ; resserrer ses liens avec les syndicats, les intellectuels et les grandes associations progressistes ; associer ses sympathisants à ses débats et à ses mobilisations. Il doit acquérir la maîtrise des moyens de communication modernes - l'Internet et l'Intranet, ce qui est loin d'être le cas, malgré les progrès enregistrés récemment -, mettre l'accent sur la formation de ses adhérents, se doter d'un véritable département de la communication, capable de riposter au pilonnage médiatique de Sarkozy.
Le Parti socialiste consentira-t-il l'effort considérable que représente ce bond en avant ? Ou bien se laissera-t-il glisser sur la ligne de la plus grande pente, celle qui mène au parti de supporteurs, simple reflet de l'opinion ? L'avenir de la gauche et de notre démocratie dépend de la capacité des socialistes à trancher cette alternative dans le sens de la reconstruction.
Henri Weber