TÉMOIGNAGE Une société en file d'attente publié dans Le Monde

UNE science nouvelle pousse ses premiers vagissements en Europe de l'Est : la codologie (du latin coda : la queue). Sa première chaire pourrait s'ouvrir incessamment à Varsovie, si les puissances amies du Pacte n'y voient pas d'inconvénient. Car en Pologne, la queue est érigée à la hauteur d'une institution. On ne dit plus : " Je vais acheter des cigarettes ", mais : " Je vais faire la queue au kiosque à tabac. "

Comme toute institution complexe, la queue polonaise ne se laisse pas réduire à un modèle unique. Il n'y a pas une queue en Pologne, mais divers types distincts, définis par leurs finalités, leurs modes d'organisation, leur composition sociale...

La plus simple et la plus courante, la mieux connue aussi à l'étranger, est la queue de ravitaillement. Comme son nom l'indique, son objet est l'approvisionnement en biens de consommation courants, le plus souvent alimentaires et ménagers. Elle se forme à toute heure du jour et de la nuit, dès que la rumeur d'un réassortiment des stocks en un quelconque point de vente s'est répandue dans le voisinage, et s'étend sur plusieurs dizaines de mètres. Lorsque le bien convoité est particulièrement rare, comme la viande, par exemple, ou les détergents, elle dure facilement dix ou quinze heures...

La structure démographique et sociale des queues de ravitaillement est fort hétérogène, avec une nette prédominance, toutefois, de femmes et de retraités. Un des effets indirects du développement de l'institution caudale en Pologne est la revalorisation sociale des " inactifs " : femmes au foyer, enfants, gens du troisième...

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