Quelle réponse au terrorisme
On le sait, il ne faut pas aborder l’Orient compliqué avec des idées simples. Mais tout de même ! Si la stratégie de l’autoproclamé « Etat islamique » est de dresser les musulmans de France contre les Français « de souche », pour provoquer la guerre civile, le moins que l’on puisse dire, c’est que la tuerie du 13 novembre 2015 est contre-productive.
Elle l’est par sa cible : non plus des caricaturistes blasphémateurs, des policiers apostats et des juifs simplement juifs. Mais le tout-venant, la foule festive et métissée du vendredi soir. Elle l’est par son sens : en s’attaquant aux amateurs de rock, aux supporters de foot, aux trinqueurs des terrasses, c’est notre art de vivre que les djihadistes ont voulu frapper, au nom du rigorisme salafiste, qui interdit la musique, le sport, la fête, la convivialité. Elle l’est par son mode opératoire : mitrailler une foule sans défense, achever froidement les blessés, puis actionner sa ceinture d’explosifs pour faire le maximum de victimes. Si les djihadistes avaient voulu réaliser l’union la plus large contre eux, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Tout le monde n’était pas « Charlie » en janvier 2015, il s’en fallait de beaucoup. Mais tout le monde est devenu « Paris » après le massacre du 13 novembre. Quatre cents responsables musulmans, venus de toute la France à l’Institut du monde arabe, ont adopté un manifeste en dix points condamnant sans réserve le terrorisme et affirmant l’attachement des musulmans français au pacte républicain . « C’est à nous qu’il incombe de faire le ménage, ont proclamé plusieurs intellectuels musulmans, personne ne peut le faire à notre place ».
Les démocrates doivent mettre à profit cette faute stratégique de Daech pour isoler les groupuscules terroristes au sein de la société française afin de les éradiquer.
Cette lutte sera dure et longue. Le djihadisme trouve sa source et ses ressources dans la guerre de religion entre chiites et sunnites, qui embrase le Moyen-Orient. L’utopie du nouveau Califat et du retour à la pureté de l’islam des origines donne une expression idéologique à la volonté de rupture radicale et de destruction d’une fraction infime, mais significative, de la jeunesse des cités.
Pour vaincre ce nouveau terrorisme, il faut agir sur quatre plans :
– Priver les islamistes de toute base sociale, les couper, en particulier, de la grande masse des musulmans de France qui aspirent à l’intégration dans notre République laïque et sociale. C’est pourquoi l’amalgame opéré par le Front national entre musulmans, islamistes et terroristes en puissance est désastreux. Il participe à la « stratégie de la tension » de Daech, au lieu de la contrer.
– En second lieu, il faut redoubler notre effort d’intégration à notre République : par l’Ecole et la formation professionnelle pour adultes. Par l’accès à la culture, en renforçant les équipements, l’offre et les pratiques artistiques. Par la déghettoïsation voulue par Manuel Valls, en appliquant la loi LRU de mixité sociale et le Plan Logement. Par l’emploi, surtout, en favorisant les auto-entrepreneurs et les nouveaux entrants sur le marché du travail.
– En troisième lieu, il faut mener résolument la lutte idéologique. Notre art de vivre hédoniste, nos valeurs humanistes et démocratiques, notre idéal de civilisation sont incomparablement préférables au rigorisme, à l’autoritarisme, à la misogynie que proposent aux jeunes les fondamentalistes islamistes. Exercer sa liberté, jouir des plaisirs de la vie, dont les plus intenses ne s’achètent pas : l’amour, l’amitié, le sport, la musique, la danse, l’accès aux savoirs, aux arts, au patrimoine, à l’action collective… Cette offre est proposée depuis longtemps, non sans succès. Tant bien que mal, le creuset français continue à fonctionner. La grande majorité des immigrés continue à s’intégrer, en dépit du chômage et de la relégation urbaine, même si certains se sentent encore musulmans en France, plus que Français musulmans.
– La lutte contre le djihadisme passe enfin par la répression policière et militaire. Les moyens policiers et judiciaires ont été mis au niveau de la nouvelle menace, et seront encore augmentés. La coalition internationale contre Daech a été renforcée. Mais chacun sait que la solution n’est pas principalement militaire, mais politique. Un ordre équilibré et stable, garanti par les grandes puissances et l’Onu, doit être établi au Moyen-Orient.
L’Union européenne doit, à son niveau, assumer sa responsabilité dans cette guerre contre le djihadisme. Elle ne peut plus sous-traiter sa sécurité aux Etats-Unis et se concevoir comme une grosse Suisse. Ce n’est pas la France, mais tous les états membres de l’Union qui sont menacés. Et c’est à l’échelle de l’Europe et de ses alliés que se trouve le niveau pertinent de la riposte.
Henri Weber, ancien député européen, directeur des études auprès du Premier secrétaire du parti socialiste.