Quel nouveau compromis social-démocrate au XXIème siècle ?

Le jeudi 17 décembre 2015 18:22

Texte publié dans La Revue socialiste, n°60 « Situations du socialisme européen » (novembre 2015)

Depuis le temps, déjà lointain, où elle a cessé d’être révolutionnaire pour devenir résolument réformiste, la social-démocratie européenne marche au compromis.

«Entre le capital et le travail, le marché et l’Etat, la liberté (d’entreprendre) et la solidarité», selon la lumineuse formule de Jacques Delors, elle recherche l’arbitrage le plus avantageux pour les salariés, qu’elle a vocation à défendre et l’ambition de représenter.
Les contenus concrets de ces pactes sociaux dépendent des rapports de force et des conditions objectives. C’est pourquoi, il n’y a pas un seul, mais plusieurs types de compromis sociaux-démocrates possibles. Pour nous en tenir qu’à la deuxième moitié du XXe siècle, on peut en distinguer trois : les compromis sociaux-démocrates offensifs d’après-guerre (1945-1975) ; les compromis défensifs de crise (1980-2000) ; les compromis d’adaptation progressiste à la globalisation (2000-…).

-    Les compromis offensifs d’après-guerre » -
Les premiers coïncident avec les Trente Glorieuses et sont particulièrement favorables aux travailleurs. Ceux-ci bénéficient d’un rapport de forces économique, social, politique, idéologique, globalement favorable, au lendemain de la victoire des Alliés sur le nazisme et tout au long de la Guerre froide.
Dans nos économies de reconstruction et de rattrapage, le taux de croissance sur longue durée est de 5% par an. Comme disait le regretté André Bergeron : « Il y a du grain à moudre ». Les économies nationales sont protégées par les droits de douane et les contingentements. Les entreprises produisent principalement pour le marché national, sur le territoire national. Le plein emploi confère aux syndicats un fort pouvoir de négociation. La menace communiste, extérieure avec l’impérialisme soviétique, intérieure avec un parti stalinien de masse qui exerce son hégémonie sur la gauche politique, syndicale, associative et intellectuelle, incite les classes possédantes et dirigeantes à ne pas lésiner sur les moyens pour acheter la paix sociale et attacher les ouvriers à la démocratie.
La classe ouvrière industrielle est en pleine ascension, elle atteindra son apogée au début des années 1970. Concentrée dans des établissements géants et des régions-usines, elle est systématiquement organisée par les partis et les syndicats sociaux-démocrates (communistes en France et en Italie). Ces partis sont des partis de masse – encore en 1975 le SPD allemand regroupe 1 million d’adhérents – et de classe .
Au plan idéologique, qu’on néglige à tort trop souvent, le libéralisme économique, dominant entre les deux guerres, est discrédité par la Grande Dépression de 1929-1933. Le keynésianisme, sous ses variantes de gauche et de droite, tient le haut du pavé. Il légitime et encourage l’intervention de l’Etat dans la vie économique et sociale, et recommande « l’euthanasie des rentiers ». En France, la puissance publique contrôle les prix et les changes. Elle met en œuvre un protectionnisme offensif, favorisant la montée en puissance de « champions nationaux ». Elle recourt régulièrement à la dévaluation du franc pour rétablir la compétitivité de l’économie, compromise par l’inflation.
Les termes du compromis social-démocrate offensif d’après-guerre sont faciles à énoncer, et pas très compliqués à mettre en oeuvre : le mouvement ouvrier social-démocrate reconnaît la légitimité du profit et du pouvoir patronal dans l’entreprise, sa liberté d’entreprendre et de gérer, dans le respect du droit, de la loi et des contrats. Il exige - et il obtient ! - en échange que le patronat et l’Etat assurent le plein-emploi, l’augmentation régulière du pouvoir d’achat, la protection croissante des travailleurs contre tous les risques sociaux (chômage, vieillesse, maladie, déqualification…), le développement de services publics diversifiés et de qualité, le renforcement de la démocratie sociale dans les entreprises et dans la société.
Ces compromis conquérants ont fait merveille pendant près d’un demi-siècle, on leur doit la douceur de vivre dans nos démocraties avancées. Jusqu’au milieu des années 1970, le plein emploi était assuré en Europe ; le pouvoir d’achat des salariés a été multiplié par trois, les ménages ouvriers se sont équipés en « biens de consommation durables » ; la durée annuelle du travail a été considérablement réduite , les congés payés ont été allongés. La protection sociale a été portée à un niveau sans précédent : les pensions de retraite se sont progressivement rapprochées du niveau des salaires touchés par les travailleurs en activité ; la vieillesse a cessé d’être synonyme de pauvreté. Le système de santé a progressivement offert à tous l’accès aux soins, quelles que soient leurs ressources et quel qu’en soit le coût, l’espérance de vie a augmenté de 20 ans. L’indemnisation du chômage a progressivement pérennisé les revenus des chômeurs sur une durée de plus en plus longue et dans une proportion du salaire net de plus en plus élevée. L’enseignement secondaire a été progressivement étendu à la majorité d’une classe d’âge, l’enseignement supérieur à près de la moitié… On pourrait poursuivre cette liste en y incluant les libertés et les droits nouveaux, civils, politiques et culturels. Il y faudrait plusieurs pages !
Ces compromis offensifs sont entrés en crise à la fin des années 1970 avec le ralentissement de la croissance (qui passe de 5% à 2,5% par an), l’envol de l’inflation (14% en France en 1980), la réapparition du chômage de masse. Avec aussi et surtout la mondialisation croissante de l’économie - mondialisation des échanges, mais aussi de la production - ; la financiarisation du capitalisme, la montée en puissance, puis la victoire par KO, du néo-libéralisme économique dans le champ des idées ; la différenciation du salariat en catégories aux intérêts distincts et parfois divergents, la fin de la « centralité ouvrière » .

-    Les compromis défensifs de crise –

Vont leur succéder les compromis défensifs de crise , destinés à sauver l’essentiel, dans les nouveaux rapports de force et les nouveaux systèmes de contraintes. Ils ont pour termes l’acceptation d’une certaine modération salariale, variable selon les pays, et des licenciements collectifs dans les industries en difficulté ; contre l’augmentation des prestations sociales et des dépenses publiques visant à soutenir la croissance et à préserver l’emploi. C’est l’époque du «traitement social du chômage», de la préretraite à 57 ans, des emplois aidés, de la fermeture progressive des mines, des chantiers navals, de nombreux hauts fourneaux ; de l’envol des prélèvements obligatoires. Ceux-ci passent en France  de 35% en 1974 à 42% en 1981, sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing !
Un troisième type de compromis social prend corps au tournant du siècle : les compromis d’adaptation progressiste à la globalisation, et, plus largement, aux mutations du capitalisme.

-    Les compromis d’adaptation progressiste à la globalisation –

Au début du XXIème siècle, les compromis défensifs sont en effet à leur tour frappés d’obsolescence par l’accélération de la mondialisation, de la troisième révolution industrielle et de la financiarisation de l’économie.
Cette triple accélération crée de nouvelles contraintes et modifie à nouveau les rapports de force entre le capital et le travail, entre les pays capitalistes avancés et les pays émergents, entre les impératifs du développement et l’urgence écologique.
Au plan économique, les grands émergents ont émergé, le capitalisme d’Etat chinois concurrence désormais les grandes entreprises occidentales dans les industries high tech, l’Inde s’affirme dans les services à haute valeur ajoutée, une armée de nouveaux émergents leur emboîte le pas.
La révolution numérique connaît une seconde vague, avec la convergence entre l’Internet, la robotique, les bio et les nano-technologies, l’intelligence artificielle. Elle s’incarne désormais dans l’internet des objets, l’impression tridimensionnelle (la 3D), l’informatique en nuage (le e-Cloud), le stockage et le traitement des méga-données (Big Data), l’industrie 4.0 .
L’instabilité de l’économie mondiale s’est encore renforcée, après la crise de 2008-2012, malgré les bonnes résolutions affirmées au plus fort de la tourmente. Les réformes annoncées au G20 de novembre 2008 ont été, pour l’essentiel, oubliées. Celles qui ont été appliquées sont insuffisantes pour conjurer la réédition, en plus grave, d’une nouvelle crise financière et économique mondiale. Cette instabilité chronique rend périlleux les endettements élevés, car nul ne sait où en seront les taux d’intérêt quand les bulles spéculatives qui enflent aujourd’hui auront éclaté.
Le rapport de force entre les détenteurs du pouvoir économique privé – entreprises multinationales géantes et opérateurs financiers – et les Etats démocratiques, leurs gouvernements, leurs partis politiques, leurs syndicats, leurs ONG, s’est encore dégradé, au détriment des seconds, au profit des premiers.
Au plan social, le salariat se voit menacé par « l’uberisation » des métiers de services et l’automatisation du travail intellectuel standardisable. D’après des instituts spécialisés, 47% des emplois existants aux Etats-Unis, 42% en France, pourraient disparaître dans un délai de 10 à 30 ans, selon les scénarii . La société de conseil Roland Berger annonce la destruction de 3 millions d’emplois intellectuels en France au cours des dix prochaines années . L’avenir serait aux travailleurs indépendants, aux auto-entrepreneurs, ou, dans le meilleur des cas, au « travail partagé » : salarié pendant 3 jours, « indépendant » le reste de la semaine. D’après Jacques Attali, nous allons vers la généralisation du statut des intermittents du spectacle.
Au plan idéologique, l’effondrement des grandes idéologies émancipatrices des XIXème  et XXème siècles – communisme, socialisme révolutionnaire, et, dans une moindre mesure, progressisme républicain – a laissé place au retour en force des religions révélées, de la pensée magique, de l’irrationnalisme. La mondialisation sauvage et l’Europe encalminée frayent la voie au retour des nationalismes de repli, souvent dans leur version agressive et xénophobe.
Au plan politique, ces évolutions nourrissent une double radicalisation : radicalisation à droite, avec la banalisation des partis populistes xénophobes et leur montée en puissance  ; radicalisation à gauche, avec le surgissement d’une nouvelle extrême-gauche, qui prône la résistance au changement mais ne porte aucune réponse novatrice aux défis auxquels nous sommes confrontés.
Ces évolutions du capitalisme et de la société salariale appellent un redéploiement des économies occidentales vers les industries de pointe, les services à haute valeur ajoutée, mais aussi les services aux personnes ; le passage d’une économie d’imitation à une économie d’innovation , d’une société industrielle à une société de services, fondés sur la connaissance.
Le compromis social-démocrate du XXIème siècle vise à mobiliser les partenaires sociaux en faveur de cette mutation : la gauche réformiste et les syndicats acceptent la dérégulation relative du marché du travail (sur le modèle de la « flexisécurité » scandinave) ; la modération salariale ; la reconfiguration de l’Etat-Providence, dans le sens d’un Etat social plus préventif, moins curatif. Ils attendent en échange du patronat et de la puissance publique la défense de l’emploi, la montée de l’économie « à la frontière technologique », la conquête de parts de marché à l’international, la sauvegarde de la puissance économique nationale et européenne.
Ce compromis social-démocrate d’adaptation à la globalisation est progressiste, s’il vise à préserver, dans leur substance, les conquêtes sociales et démocratiques accumulées par le mouvement ouvrier au long de deux siècles de lutte. Ce qui passe nécessairement par la reconstitution de leur base matérielle. Il est progressiste aussi et surtout, s’il s’efforce, au-delà de cette préservation, d’assurer des conquêtes nouvelles. De poursuivre la longue marche de la social-démocratie vers une démocratie accomplie, une économie maîtrisée, une civilisation du bien-vivre. Il est régressif, au contraire, s’il vise à démanteler les acquis sociaux et à promouvoir une répartition des richesses outrancièrement favorable aux classes possédantes.

-    L’expérience pionnière allemande -

A la fin des années 1990, plusieurs partis sociaux-démocrates se sont efforcés de mettre en œuvre des compromis d’adaptation progressistes. Ils l’ont fait malheureusement dans un cadre trop étroitement national, insuffisamment européen, alors que l’Union européenne est l’espace pertinent du nouveau réformisme.
En Allemagne, par exemple, le SPD et les syndicats ont consenti aux réformes Hartz : l’indemnisation du chômage a été réduite de 32  à 12 mois, (24 pour les plus de 50 ans) ; l’âge du départ à la retraite a été repoussé à 67 ans (…en 2029) ; les chômeurs ont été contraints d’accepter un emploi, même moins qualifié et moins rémunéré, sur l’ensemble du territoire.
En contrepartie, le patronat et l’Etat se sont engagés à garantir la puissance industrielle et exportatrice du «site Allemagne», en améliorant la spécialisation sectorielle et géographique des entreprises, en confortant le tissu des PME innovantes et exportatrices, en investissant dans la recherche et la qualification de la main-d’œuvre. Résultat : la croissance, quoique modeste, est revenue, l’excédent de la balance commerciale a atteint 217 milliards d’euros en 2014.
Les salariés ont engrangé, comme convenu, leur part de cette moisson : le chômage est passé de 5 millions à 3 millions (6% de la population active contre 12% en moyenne en Europe) ; les salaires ont recommencé à monter à partir de 2010 ; un Smic horaire à 8,50 euros a été institué, dans un pays où 7 millions de salariés gagnaient 400 euros par mois. D’après un récent sondage, 72% des citoyens allemands ont confiance en leur avenir - 81% chez les 14-34 ans ! .
La politique économique que propose et met en œuvre François Hollande est la version française des compromis adaptatifs progressistes que prône la social-démocratie européenne face à la mondialisation. Elle est nettement moins dure pour les salariés que ne l’était l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, lequel le fut sans doute trop. Elle a pour objectif de reconstituer la compétitivité des entreprises françaises, afin de favoriser leurs investissements, condition de leur modernisation et d’une nouvelle croissance. En cela, le Président socialiste reste fidèle aux engagements pris lors de son élection : «Redresser d’abord, dans la justice, pour redistribuer ensuite.»

-    Redresser dans la justice –

Au niveau national, les socialistes au pouvoir ont créé une Banque publique d’investissement, régionalisée, pour financer les TPE, les PME et les ETI ; ils ont déterminé 10 plans concrets de reconquête industrielle, arrêté un programme d’investissement d’avenir de 12 milliards d’euros, élargi le crédit d’impôt recherche (CIR) aux dépenses d’innovation des PME, voté une loi sur l’amortissement anticipé des investissements dans les moyens de production. Pour reconstituer les marges d’exploitation des entreprises, tombées à un plus bas historique en 2012 (28%, contre 40% en Allemagne), ils ont mis en œuvre le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le « pacte de responsabilité ». Des comités parlementaires de suivi et des comités régionaux, où les syndicats sont présents, veillent à ce que les 41 milliards d’euros ainsi attribués aux entreprises servent bien à renforcer leur compétitivité, plutôt qu’à gratifier les actionnaires .
Ils ont fait voter la loi pour la croissance et l’activité, dite loi Macron, pour réduire les rentes des « professions protégées » et certaines rigidités de la société française. Ils ont fait de l’Education la priorité des priorités, à tous les niveaux, depuis l’accueil de la petite enfance jusqu’à la valorisation de l’enseignement supérieur, en passant par le renforcement de l’enseignement primaire.
Servis, il faut le reconnaître, par ce qu’on a appelé « l’alignement favorable des planètes », survenu en 2014 – taux d’intérêt faibles, parité euro-dollar favorable à nos exportations, baril de pétrole bon marché… - ces efforts ont produit des effets : les marges d’exploitation des entreprises sont remontées à 31,5%, les start-ups françaises innovantes se sont multipliées. La production industrielle, la construction, la consommation de biens durables, l’achat d’automobiles, sont repartis.
Cet effort en faveur de la compétitivité des entreprises ne s’est pas accompagné d’une politique d’austérité et de régression sociale, comparable à celles qu’ont pratiqué nos voisins. Les gouvernements socialistes ont été soucieux, au contraire, de trouver un juste équilibre, entre le renforcement de la compétitivité des entreprises et le soutien à la demande. Le choc fiscal de 2012-2013, douloureux mais nécessaire, a été justement réparti, avec une nouvelle tranche d’imposition à 45% sur les hauts revenus ; le rétablissement de l’ISF ; le plafonnement des niches fiscales… 75% de l’augmentation de l’impôt sur le revenu a pesé sur les 25% des ménages les plus aisés. La lutte contre la fraude fiscale rapporte désormais 2 milliards d’euros par an aux caisses du Trésor, et la France joue un rôle actif, à l’échelle européenne et internationale, pour réduire « l’optimisation fiscale » ; 9 millions de foyers modestes ont été dispensés de l’impôt sur le revenu en 2015, du fait de la suppression de la première tranche. La consommation populaire a continué à progresser, la France est restée, selon l’OCDE, le pays le plus égalitaire en termes de revenus. La réforme fiscale a été engagée, avec le prélèvement de l’impôt à la source.
Les réformes et les mesures sociales que les gouvernements socialistes ont mis en œuvre obéissent toutes à un objectif de justice : la retraite à 60 ans, pour les carrières longues, a été rétablie dès juillet 2012 ; un compte-pénibilité a été créé pour permettre un départ anticipé des salariés exerçant des métiers usants ; l’assurance complémentaire santé a été généralisée à tous les travailleurs, le tiers-payant à tous les assurés. Le compte personnel d’activité (CPA), grande avancée vers la sécurisation des parcours professionnels, voté en juillet 2015, sera la grande conquête sociale du quinquennat.
La relance d’une politique contractuelle ambitieuse, voulue par le gouvernement, s’est heurtée aux surenchères du Medef et à la division des syndicats de salariés. Mais 36 000 contrats sont signés chaque année au niveau des branches et des entreprises, dont beaucoup avec la CGT. Au niveau national, il reste des progrès à faire, malgré quelques succès, comme l’accord national interprofessionnel (ANI), en janvier 2013, et la complémentaire santé, en octobre 2015.
Ces compromis du « troisième type » se nouent au niveau national, qui reste le cadre principal de la négociation collective, mais aussi au niveau européen, qui devient de plus en plus déterminant.

-    Réorienter l’Union européenne –

Confrontés aux défis de la mondialisation et de la troisième révolution industrielle, les principaux Etats européens ont mis en œuvre des réponses étroitement nationales, « non coopératives », comme on dit en sabir bruxellois, c’est-à-dire en réalité divergentes et souvent contradictoires. Le « triangle européen » - la Commission, le Parlement, le Conseil – a élaboré à plusieurs reprises des réponses continentales, mais, faute de volonté politique, celles-ci sont, pour l’essentiel, restées lettre morte. C’est l’une des raisons majeures de l’échec économique européen et du repli sur le « chacun pour soi ».
Les socialistes français ont pris conscience, en 1983, de l’impuissance d’une politique keynésienne de relance dans un seul pays. Ce ne fut pas pour renoncer à toute politique keynésienne et se rallier au néo-libéralisme ambiant, mais au contraire pour promouvoir un keynésianisme continental et social-écologique (un « Green New Deal »). Ce fut le « pari » de François Mitterrand , ramassé dans le mot d’ordre constant des socialistes : « Relancer et réorienter l’Europe ».
C’est la condition aussi du succès du compromis social-démocrate d’adaptation progressiste à la globalisation, qui appelle une articulation entre les politiques économiques nationales et une politique économique européenne volontariste et ambitieuse. François Hollande perpétue ce combat, et cherche à y entraîner l’Allemagne, avec quelques succès. Ses fronts principaux sont :
-    Une stratégie différenciée de sortie de crise : les Etats excédentaires de l’Europe du Nord – et en premier lieu l’Allemagne – doivent relancer leurs investissements et leur consommation, pour servir de locomotive à l’Europe ; ceux, surendettés, d’Europe du Sud – dont la France ! -, doivent trouver  un équilibre entre assainissement de leur finance et soutien à leur activité économique.
-    Un programme européen d’investissement dans la transition écologique et énergétique, la révolution numérique, les bio et les nano-technologies, beaucoup plus ambitieux que l’actuel Plan Juncker de 315 milliards d’euros, qui doit être un premier pas.
-    L’élargissement (en bonne voie) des missions de la BCE, laquelle doit se soucier – à l’instar de la FED américaine – de la croissance et de l’emploi, autant que de la stabilité monétaire.
-    Le parachèvement de l’Union bancaire, avec la mise en œuvre de son « troisième pilier » : la garantie des dépôts des épargnants.
-    La démocratisation des institutions européennes, qui doivent devenir à la fois plus légitimes, plus efficaces et plus solidaires.
-    La mise en œuvre, enfin, de politiques communes européennes, pour répondre aux grands défis du siècle : la lutte contre le dérèglement climatique, la maîtrise de la finance folle, le contrôle des flux migratoires, la lutte contre le djihadisme, la pacification de notre voisinage proche.

Henri Weber, directeur des études auprès du Premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes