Retour aux Années trente ?
Le mardi 20 septembre 2016 18:17
« Le fond de l’air est rouge » constatait le cinéaste Chris Marker en 1975. Il en a fait le titre d’un film fameux, retraçant l’envolée de la nouvelle gauche et des mouvements sociaux.
« Le fond de l’air est brun » s’inquiètent aujourd’hui, en écho, nombre d’intellectuels et de militants. « Nous voilà revenus aux Années Trente du siècle dernier ».
Et de fait, les similitudes sont nombreuses : nous avons subi en 2008 la crise économique et sociale la plus grave que le capitalisme ait connu depuis 1929. Le chômage et la précarité, en Europe du Sud, ont bondit à des niveaux socialement insupportables. Les classes moyennes, jusqu’à présent épargnées, sont frappées à leur tour et risquent de l’être bien davantage encore avec l’automatisation du travail intellectuel standardisable. L’ampleur de l’immigration inquiète bien des « français de souche ». La guerre s’est réinvitée sur notre Continent : en son cœur, avec le terrorisme djihadiste, sur ses marges avec le regain de l’impérialisme grand’russe.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on assiste à un retour en force des nationalismes agressifs, de la xénophobie, du racisme. De la violence, aussi, pour l’instant surtout symbolique et verbale, mais de plus en plus souvent physique. L’hyper-démagogie se donne libre cours, le débat public est hystérisé, la mobilisation des passions mauvaises –ressentiment, peurs, haine – bat son plein. La montée aux extrêmes s’accélère, avec une prime, toutefois, pour l’extrémisme de droite.
Comme dans les années trente du siècle dernier la première victime de cette radicalisation politique est la social-démocratie, partout en recul. Comme alors, une certaine extrême-gauche désigne dans les socialistes l’ennemi principal, celui qu’il faut abattre en priorité. « François Hollande est pire que Nicolas Sarkozy » répète Jean-Luc Mélenchon, au mépris de toute évidence. Comme dans les années trente le sectarisme fait le lit de la réaction la plus dure.
Il existe cependant des différences de taille entre notre moment présent et la période de « l’entre guerres ».
Les années trente surviennent, en effet, douze ans après l’effroyable boucherie de 1914-1918, et alors que s’annonçait celle de 1939-1945. La « Grande Guerre », a profondément marqué les consciences. Elle a banalisé le recours à la violence et le mépris de la vie humaine. Elle a nourrit l’essor des idéologies anti-démocratiques et favorisé le succès des trois totalitarismes qui ont ensanglanté le XXème siècle : le fascisme, le nazisme et le stalinisme.
On ne connaît rien de semblable aujourd’hui. Notre « polycrise » européenne survient après soixante ans de paix et de prospérité sur notre continent – à l’exception de la tragédie yougoslave. Les Etats-Providence européens, édifiés au cours des « Trente glorieuses » (1945-1975), atténuent les souffrances dues au chômage et à la précarité. Les gouvernements ont beaucoup appris de la crise de 1929 et n’ont pas réédité leurs erreurs protectionnistes d’alors, qui ont transformé le krach de la bourse de New-York en « Grande Dépression ». L’adhésion des citoyens aux valeurs démocratiques et à l’Etat de droit ne se dément pas, même si une minorité non négligeable déclare désormais préférer la sécurité aux libertés.
Au national-populisme xénophobe de Marine Le Pen et à l’ultra-libéralisme thatchérien des candidats aux primaires de la droite, la gauche doit opposer ses réponses progressistes et républicaines aux défis qui nous assaillent : le terrorisme djihadiste, la déflation économique, le réchauffement climatique, les mouvements mal contrôlés de population. Si elle y parvient, en refondant son unité, l’issue de la bataille de 2017 reste ouverte.
Le fond de l’air pourrait redevenir rose.
Henri Weber
Directeur des études auprès du Premier Secrétaire du Parti Socialiste
Chargé des questions européennes
Dernier livre paru : « Eloge du compromis » ; Editions Plon, septembre 2016