Le jeudi 13 mars 2014 14:55

Depuis le temps, déjà lointain, où elle a cessé d’être révolutionnaire pour devenir résolument réformiste, la social-démocratie européenne marche au compromis. «Entre le capital et le travail, le marché et l’Etat, la liberté (d’entreprendre) et la solidarité», selon la lumineuse formule de Jacques Delors, elle recherche le compromis le plus avantageux possible pour les salariés, qu’elle a vocation à défendre et l’ambition de représenter.

Les contenus concrets de ces pactes sociaux dépendent des rapports de force et des conditions objectives. C’est pourquoi, il n’y a pas un seul, mais plusieurs types de compromis sociaux-démocrates possibles. Pour nous en tenir qu’à la deuxième moitié du XXe siècle, on peut en distinguer trois : les compromis sociaux-démocrates offensifs d’après-guerre (1945-1975) ; les compromis défensifs de crise (1980-2000) ; les compromis adaptatifs à la globalisation (2000-…).

Les premiers coïncident avec les Trente Glorieuses et sont particulièrement favorables aux travailleurs : le mouvement ouvrier social-démocrate reconnaît la légitimité du pouvoir patronal dans l’entreprise et les impératifs de l’économie (sociale) de marché. Il exige en échange que le patronat et l’Etat assurent le plein-emploi, l’augmentation régulière du pouvoir d’achat, la protection croissante des travailleurs contre tous les risques sociaux (chômage, vieillesse, maladie, déqualification…), le développement de services publics diversifiés et de qualité, le renforcement de la démocratie sociale dans l’entreprise et dans la société.

Ces compromis conquérants ont fait merveille pendant près d’un demi-siècle, on leur doit la douceur de vivre dans nos démocraties avancées. Ils sont entrés en crise à la fin des années 70 avec le ralentissement de la croissance (qui passe de 5% à 2,5% par an) et l’envol de l’inflation (14% en France en 1980). Vont leur succéder les compromis défensifs de crise, destinés à sauver les acquis. Ils ont pour termes l’acceptation de la modération salariale et des licenciements collectifs dans les industries en difficulté, contre l’augmentation des prestations sociales et des dépenses publiques visant à soutenir la croissance. C’est l’époque du «traitement social du chômage», de la préretraite à 57 ans, des emplois aidés, de l’envol des prélèvements obligatoires.

Un troisième type de compromis social prend corps au tournant du siècle : les compromis d’adaptation à la globalisation, et, plus largement, aux mutations du capitalisme. La révolution numérique, l’irruption des pays émergents, l’internationalisation de la production appellent un redéploiement des économies occidentales vers les industries de pointe et les services à haute valeur ajoutée. Le nouveau compromis social-démocrate vise à mobiliser les partenaires sociaux en faveur de cette modernisation. Syndicats et partis socialistes acceptent la dérégulation relative du marché du travail («flexisécurité»), la stagnation du pouvoir d’achat des salariés, la réduction du niveau de protection sociale. Ils exigent en échange la défense de l’emploi et la sauvegarde de la puissance économique nationale.

En Allemagne, le SPD et les syndicats consentent aux réformes Hartz : l’indemnisation du chômage est réduite de 32 mois à 12 mois, (24 pour les plus de 50 ans) ; l’âge du départ à la retraite est repoussé à 67 ans (en 2029) ; les chômeurs sont contraints d’accepter un emploi sur l’ensemble du territoire.

En contrepartie, le patronat et l’Etat s’engagent à garantir la puissance industrielle et exportatrice du «site Allemagne», en améliorant la spécialisation sectorielle et géographique des entreprises, en confortant le tissu des PME innovantes et exportatrices, en investissant dans la recherche et la qualification de la main-d’œuvre. Résultat : la croissance est revenue, l’excédent de la balance commerciale a atteint 200 milliards d’euros en 2013.

Les salariés ont engrangé, comme convenu, leur part de cette moisson : le chômage est passé de 5 millions à 3 millions (7% de la population active contre 12% en moyenne en Europe) ; les salaires ont recommencé à monter à partir de 2010 ; un Smic horaire à 8,50 euros a été programmé, dans un pays où 7 millions de salariés gagnent 400 euros par mois. D’après un récent sondage, 72% des citoyens allemands ont confiance en leur avenir - 81% chez les 14-34 ans ! (1).

Le pacte de responsabilité que propose François Hollande est la version française des compromis adaptatifs que prône la social-démocratie européenne face à la mondialisation. Il est nettement moins dur pour les salariés que ne l’était l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, lequel le fut sans doute trop. Il a pour objectif de reconstituer les marges des entreprises afin de favoriser leurs investissements, condition de leur compétitivité et d’une nouvelle croissance. En cela, il reste fidèle aux engagements pris lors de l’élection présidentielle : «Redresser d’abord, dans la justice, pour redistribuer ensuite.»

(1) Voir l’étude menée par la Fondation Hamburger BAT, et publiée le 21 décembre 2013. Elle a été réalisée sur un échantillon représentatif de 2 000 citoyens allemands.

Henri Weber Député socialiste européen