Des sociaux-libéraux bien singuliers
Le mercredi 27 avril 2016 18:19
« Mal nommer les choses c‘est ajouter au malheur du monde », chacun connaît cette forte pensée d’Albert Camus. Mais beaucoup, notamment parmi ceux qui font profession d’informer et d’éclairer leurs semblables, continuent de nommer à tort et à travers : ainsi la politique des socialistes français serait « social-libérale ».
Sans doute parce que, sous leur magistère, la dépense publique atteint 57 % du PIB, record des pays de l’OCDE, les prélèvements obligatoires tangentent les 45 %, seconde place du podium, après le Danemark. Dans notre France « social-libérale », plus de la moitié des richesses produites est prélevée et redistribuée. Les prestations sociales en espèces versées par les administrations (retraites, allocations chômage…), représentent 25,3 % du revenu disponible des ménages, les transferts sociaux en nature (école, santé…), en représentent 21,3 %. Près de la moitié du revenu des ménages (46,6 % )est donc socialisée et provient de la dépense publique. A quoi s’ajoute, rappelle « l’économiste atterré » Christian Ramaux, à qui j’emprunte ces données, la « production non individualisable des administrations » (police, justice, armée…), laquelle est, elle aussi, à l’usage des citoyens. « C’est plus de 50 % du revenu disponible brut ajusté (RDBA) des ménages qui provient en réalité de la redistribution sociale », conclut-il . Ces transferts sociaux, permettent de réduire la pauvreté, soutenir la demande, atténuer les inégalités. Les revenus primaires des 20 % des français les plus riches sont 8 fois supérieurs à ceux des 20 % des français les plus pauvres. Après impôts et redistribution sociale cette différence est réduite de 1 à 3. Beauté du social-libéralisme !
Les affreux sociaux-libéraux que nous sommes ont ralenti, mais non supprimé le taux de croissance de la dépense publique, lequel est passé de 5,1 % en 2011, à 3,5 % en 2015. Ils ont stabilisé, mais non réduit, le niveau de la dette publique qui s’élève à 97 % de notre PIB (2 200 milliards d’euros). Leurs gouvernements n’ont pas pratiqué une politique d’austérité comparable à celle de leurs voisins. Ils n’ont pas supprimés 500 000 postes de fonctionnaires, comme l’a fait David Cameron en Grande-Bretagne, les effectifs de la fonction publique, en France, ont continué au contraire d’augmenter. Ils n’ont pas réduit de 5 % à 15 % les salaires et les pensions de retraite, comme l’ont fait leurs homologues de droite, en Espagne, au Portugal, en Italie. Ils n’ont pas autorisé 7 millions de mini jobs à 400 euros par mois, comme l’a fait Angela Merkel en Allemagne, portant le nombre des travailleurs pauvres à 16 % de la population active. Ils n’ont pas réduit la durée de l’indemnisation du chômage de 36 à 12 mois, comme l’a fait Gerhard Schröder. Au contraire, sous leur joug dé- régulateur, cette indemnisation demeure fixée à 24 mois, sans dégressivité, après 4 mois de travail. Sous la férule des social-sadiques que nous sommes, la France conserve le droit du travail le plus protecteur des pays de l’OCDE si protecteur, au demeurant, que 90 % des embauches se font en contrats à durée déterminée et que la dualité de notre marché du travail constitue un de nos principaux casse-tête.
Sociale-libérale aussi, sans doute, notre fiscalité, avec sa tranche supérieure à 45 %, son impôt sur la fortune (ISF) rétabli en 2012 dans toute son ampleur, la suppression de la première tranche du barème qui réduit les impôts de neuf millions de foyers.
Social-libéral encore le compte personnel de formation (2,6 millions de comptes d’activités), les droits rechargeables à l’assurance chômage (1 million de chômeurs bénéficiaires) ; le compte pénibilité ; la complémentaire santé pour tous ; la généralisation du tiers payant ; la prime d’activité ; les 35 heures ; la retraite à soixante ans pour les carrières longues…(500 000 bénéficiaires).
Les socialistes français sont des sociaux-démocrates qui cherchent à réindustrialiser la France, pour financer son modèle social – qu’ils ont encore amélioré – promouvoir une économie de l’excellence, assurer une société du bien-vivre.
Leur source d’inspiration est la social-démocratie nordique, non le modèle anglo-saxon. Les qualifier de libéraux – au sens économiques du terme, car au sens politique et culturel ils le sont assurément ! – c’est détruire le sens des mots pour les besoins de la polémique et « ajouter au malheur du monde ».
Henri Weber
Directeur des études auprès du premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes