Après le 13 novembre

Nous sommes rentrés dans la bataille des élections présidentielles.

Nous serons jugés sur notre capacité à réduire le chômage, conforter la croissance, préserver notre protection sociale…


Mais aussi, et autant, sur notre aptitude à faire face au terrorisme djihadiste, assurer la sécurité, maîtriser les flux migratoires, affirmer notre culture française et européenne, promouvoir notre mode de vie.
Les questions de la sécurité et de la défense de notre identité ne se substituent pas à la question sociale, mais elles s’y surajoutent. Et si les attentats se poursuivent, elles vont devenir prééminentes. Or ils vont sans doute reprendre, il est peu probable que nous parvenions à les déjouer tous.

Cinq grandes données politiques déterminent les conditions de notre action.

1)    La lutte contre le terrorisme djihadiste, et au-delà contre l’islamisme radical, sera dure et longue.

Ce terrorisme a son épicentre au Moyen-Orient, où Daech a établi un nouveau « califat », régi par la Charia et le rigorisme salafiste. Il exerce un attrait dans une frange minoritaire, mais significative, de la jeunesse européenne, comme l’attestent les 10 000 volontaires djihadistes venus du Vieux Continent (1800 pour la France) et les 40 000 tweets proclamant « je suis Kouachi », en janvier 2015, au lendemain du massacre de « Charlie ». Il recrute dans deux viviers : certains jeunes musulmans exclus des cités et des adolescents convertis en quête d’absolu et de certitudes, trouvant dans le djihadisme la cause transcendantale qui donne un sens à leur vie. C’est à leur sujet qu’Olivier Roy a écrit : « Ce n’est pas l’Islam qui se radicalise, mais c’est la radicalité qui s’islamise ».
En réalité, nous sommes confrontés à une double radicalisation : la radicalité s’islamise, mais on constate aussi une montée du fondamentalisme islamiste dans le monde musulman.
C’est la conjonction entre ces deux radicalisations qui rend le nouveau terrorisme si redoutable.
- Les démocraties européennes ont déjà été confrontées à d’autres mouvements terroristes : celui des Brigades rouges en Italie, par exemple, dans les années 1970-1980 – « les années de plomb » (15 000 attentats, 500 morts, des milliers de blessés). En ce temps là la radicalité se « marxisait » dans les versions trotskistes ou maoïstes du communisme révolutionnaire. Mais le mouvement communiste entamait sa lente décomposition. Dans un autre registre, elles ont dû affronter le terrorisme nationaliste, celui de l’ETA en Espagne, de l’IRA en Grande-Bretagne.
Mais ces mouvements, de nature différente, étaient essentiellement nationaux, sans base arrière ni centre d’impulsion international.

Le djihadisme islamiste est au contraire un mouvement international.
Sa stratégie est internationale : semer la guerre civile chez les croisés, les mécréants et les apostats, fussent ils musulmans pour rétablir le Califat.
Son idéologie est internationale : un Islam littéral, salafiste ou wahabiste, et s’incarnant dans un mode de vie rigoriste aux antipodes du matérialisme et de l’hédonisme de l’Occident. Son organisation est internationale et fait appel à des combattants venus du monde entier.
C’est cette conjonction entre la montée d’un fondamentalisme islamiste conquérant et  la radicalisation d’une fraction de la jeunesse européenne, musulmane ou convertie, qui rend le nouveau terrorisme si redoutable.

Nous allons devoir vivre avec ce fléau.
La conduite gouvernementale de cette « guerre assymétrique » a été, jusqu’à présent remarquable, même si des insuffisances ont été constatées. Les Français nous en ont su gré.

•    Les moyens policiers, judiciaires, militaires ont été renforcés.
•    L’organisation européenne et internationale a été accélérée.
•    Les centres de commandement et d’entraînement des djihadistes ont été attaqués en Irak et en Syrie. En un an, Daech a perdu 14 % de son territoire.
Mais la bataille se gagnera à long terme principalement sur les terrains économiques, social, culturel.

- Second trait de la période : l’immigration a changé d’échelle et de nature : des centaines de milliers de réfugiés fuient les guerres, les dictatures, ou simplement la misère. A un moment où la croissance est faible et le chômage et/ou la précarité sont élevés en Europe. Un million de réfugiés ont été accueillis en Allemagne, beaucoup moins en France, où la « doctrine Rocard » est appliquée, mais avec des points de fixation spectaculaires, comme à Calais, Vintimille, dans les cités-ghettos…
Ce flux peut et doit être réduit, mais il risque de rester élevé, à court et moyen terme. L’Europe est au cœur d’un arc d’instabilité géopolitique et économique, qui va du Moyen-Orient au Sahel, en passant par le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Les images diffusées en boucle par la télévision et les réseaux sociaux nourrissent les fantasmes de la « submersion islamique et africaine » et du « grand remplacement » entretenus par les extrêmes droites. Les politiques de maîtrise de l’immigration et d’intégration des immigrés et de leurs enfants doivent être qualitativement renforcées. L’arrivée d’une masse d’homme (principalement) et de femmes, venus d’une autre culture va  et amplifier le choc de civilisation, comme on le voit en Allemagne et en  . Plus que la concurrence économique et sociale que cet afflux exerce sur nos sociétés au chômage et aux précarités élevées, ce « choc culturel » la population  exploité par le FN.

En UE : Fr, centre d’enregistrement, répartition, soutien au « camp de proximité », stabilisation du M.O …

- Les questions de la sécurité publique et de la défense de notre identité nationale et européenne deviennent majeures. Elles ne se substituent pas, mais se surajoutent à la question sociale. Elle structurent désormais le champ politique, français et européen, autant que cette dernière.
La montée des insécurités – publique, sociale , culturelle – nourrit chez ceux qui y sont le plus exposés le déchaînement des passions mauvaises : peur, colère, ressentiment, haine, quête de boucs émissaires… Dans toute l’Europe, l’extrême droite nationaliste et xénophobe en fait son miel, à des degrés divers. Cette insécurité multiforme nourrit une demande d’ordre, d’autorité, d’énergie, adressée à la puissance publique. Cette demande peut avoir des réponses de droite et d’extrême droite. On l’a vu aux Etats-Unis, après les attentats du 11 septembre 2001, avec le « Patriot Act », la guerre d’Irak, Guantanamo… Elle peut avoir aussi des réponses de gauche. Notre gouvernement s’est engagé à renforcer notre sécurité, sans réduire nos libertés, et dans le respect de nos valeurs démocratiques.
Dans notre lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical, le gouvernement a pris tout un ensemble de mesures, pertinentes, dans le respect de notre droit et de nos lois. Mesures policières, judiciaires, militaires ; mais aussi politiques, avec l’instauration de l’état d’urgence, contrôlé par le juge administratif et le Parlement. Il s’apprête à en prendre d’autres, pour tenir compte du caractère durable, prolongé, de la menace. Nous en débattrons en détail le 18 janvier et sans doute dès aujourd’hui.

Mais la lutte contre le djihadisme et l’islamisme radical passe aussi et surtout par la prévention et l’intégration par l’Ecole, la formation professionnelle pour adultes, l’emploi, le logement, la déghettoïsation…
Notre démocratie doit redoubler d’efforts pour renforcer le creuset français, qui fonctionne mieux qu’on ne le dit, mais moins bien qu’il ne le faudrait.
Cette action économique et sociale doit s’accompagner d’une bataille politique et culturelle. Nos valeurs humanistes et démocratiques, notre idéal de République sociale, laïque, écologique et hédoniste, sont universels et en tout point préférables à ceux des salafistes. Nous devons mener et gagner la lutte idéologique pour l’égalité homme-femme, la laïcité, la liberté des individus, leur droit de jouir des plaisirs de la vie.
La grande majorité des musulmans français s’intègrent à notre société, beaucoup y réussissent et accèdent aux différentes élites. Ils sont horrifiés par les massacres du 13 novembre. Il ne leur a pas échappé que les victimes du djihadisme sont d’abord, et de loin, les musulmans. Nous devons les aider à favoriser l’affirmation d’un Islam de France, organisé et pacifique, respectueux des lois et du droit de notre République, comme l’ont fait, avant eux, le judaïsme et le catholicisme.

S’agissant de la maîtrise de l’immigration et de l’intégration des immigrés, nous devons promouvoir une véritable politique européenne, relayant et complétant notre politique nationale.
L’UE doit se donner les moyens de contrôler ses frontières, pour distinguer les réfugiés relevant du droit d’asile des migrants économiques. Les mesures décidées aux derniers Conseils européens – renforcement de Frontex, installation de « hot spots » (centres d’enregistrement), aide aux pays de premier transit – Turquie, Jordanie, Liban – pour maintenir les migrants au plus près de leur pays de départ, répartition des réfugiés bénéficiaires du droit d’asile dans les pays de l’UE) doivent être considérablement renforcées. Les Etats-Unis, responsables en grande partie du chaos moyen-oriental, du fait de la calamiteuse guerre d’Irak, doivent eux aussi être mis à contribution.

Au niveau national, nous devons appliquer la « doctrine Rocard » - « Nous ne pouvons pas accueillir tous les migrants du monde mais nous devons en prendre notre part » - : accueil des réfugiés de guerre, des demandeurs d’asile politique ; regroupement familial ; étudiants étrangers ; travailleurs dont notre économie a besoin. Comme Angela Merkel vient de le rappeler, le 31 décembre, cette immigration peut être une richesse, un atout pour la France et pour l’Europe, si les moyens humains et financiers nécessaires sont investis pour intégrer et former les immigrés et leurs enfants. Il appartient à la gauche d’y veiller, tout en réfutant les fantasmes xénophobes des « nouvelles grandes invasions » - nous attendons 34 000 réfugiés d’ici à 2017.

- Troisième donnée structurelle de la période : le FN a le vent en poupe, le tri-partisme a succédé au bi-partisme.

Le parti lepéniste bénéficie d’un contexte politique exceptionnellemnt favorable : massacres djihadistes récurrents, vague de réfugiés de l’été 2015, montée du chômage et de la précarité (3,5 millions de chômeurs de catégorie A en novembre 2015, 5,4 millions de travailleurs à la recherche d’un emploi).
Il bénéficie aussi du succès de la politique de dédiabolisation conduite par Marine Le Pen : nationalisme anti-européen, xénophobie, islamophobie, préférence nationale, mais simultanément défense des acquis sociaux (35 heures, retraite à 60 ans, protection sociale) ; laïcité, d’autant plus intransigeante qu’elle est orientée contre le culte musulman.
Il bénéficie encore des carences de l’offre alternative : le PS souffre des mauvais résultats de la politique économique des gouvernements socialistes. Les Républicains pâtissent de leurs divisions et de l’échec du retour de Nicolas Sarkozy.
Il bénéficie enfin du fait que ses candidats sont vierges de tout bilan, n’ayant jamais exercé le pouvoir. Et d’une certaine complaisance des médias, qui voient dans ces nouvelles têtes, désormais fréquentables, de « bons clients ».

Le FN exploite et exacerbe les peurs, la colère, le ressentiment de ceux qui se sentent abandonnés par la puissance publique, craignent le déclassement et la montée en puissance de valeurs et de comportements qu’ils ne reconnaissent pas comme leurs.
Nous devons apporter notre réponse de gauche à cette peur, cette colère, ce ressentiment, qui sont légitimes, et non les abandonner aux instrumentalisations de l’extrême droite. Poursuivre et amplifier notre lutte contre le FN à trois niveaux : celui de l’éthique et des principes en combattant sa xénophobie et son racisme persistant, celui de la politique, en réfutant point par point son programme. Celui de son  terreau d’expansion, en apportant des réponses efficaces à la question de la sécurité, de l’emploi, de la défense de notre culture nationale.

Toutes les enquêtes d’opinion donnent assurée la présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Les scores impressionnants du FN aux élections régionales doivent beaucoup à l’ampleur de l’abstention. A la présidentielle de 2017, la participation sera à 80%, et non à 50%. Si nous parvenons à mobiliser notre électorat de la gauche réformiste, et plus encore si nous parvenons à rassembler la gauche sur un candidat unique, nous pourrons faire mentir ces sondages et, pour le moins, figurer au second tour.

- Quatrième trait de l’après 13 novembre : la droite conservatrice libérale, en proie à une grave crise de leadership après l’échec de « l’opération retour » de Nicolas Sarkozy, s’adonne à une surenchère tatcheriste, en vue de ses « primaires » de novembre 2016.
Sur le plan sécuritaire, comme l’illustrent les 20 propositions d’Alain Juppé.
Sur le plan économique et social, où les divers candidats à l’Elysée rivalisent en propositions austéritaires et antisociales.
Ceux qui nous reprochent de mettre en œuvre une « politique d’austérité », d’inspiration libérale, alors même que le coût du travail, la dépense publique, notre dette souveraine ont continué d’augmenter depuis juin 2012 et qu’une dizaine de nouvelles conquêtes sociales ont été ajoutées au palmarès de la gauche ; ceux-là devraient comparer notre programme de sérieux budgétaire et de redressement de notre économie dans la justice, au programme économique réellement austéritaire et conservateur libéral que proposent livre après livre les leaders de la droite, sans exception : réduction de 130 milliards d’euros, d’un côté de l’ISF, de l’autre de la dépense publique, abolition des 35 heures, démantèlement du code du travail, réduction du nombre de fonctionnaires …

- Cinquième trait : le caractère « a-polaire », ou si l’on préfère, sous-organisé, de la société internationale s’est encore accentué.
Nous sommes passés, on le sait, du monde bi-polaire de la guerre froide, au monde uni-polaire des années 1990-2000, lorsque l’hyper puissance nord américaine semblait pouvoir imposer son ordre international ; puis au monde multipolaire inorganisé (ou sous-organisé) d’aujourd’hui, où de grandes puissances existent, anciennes ou nouvelles, mais où aucune d’entre elles, ni aucune coalition, ne peut plus imposer sa loi aux acteurs éthiques et non-éthiques. La guerre, éloignée pendant des décennies de notre champ publique, fait retour en Europe : sous la forme « asymétrique » et non conventionnelle du djihadisme, sous la forme aussi de l’expansionnisme grand russe qui remet en cause l’intangibilité des frontières établies en 1945, en Ukraine et dans le Caucase ; demain peut-être dans les états baltes. La mer de Chine est une zone de tension en Asie … Une nouvelle crise économique et financière de l’ampleur de celle de 2007-2012 peut se produire, les réformes du système financier international décidées au G20 de 2008 étant insuffisantes, quand elle n’ont pas été oubliées.
L’Union européenne, qui devrait être une zone de stabilité, de prospérité, et un levier pour une meilleure organisation du monde, se trouve au contraire durement impactée par la nouvelle situation internationale, en particulier par la crise des réfugiés. Si la politique de « quantitative easing » (assouplissement financier) menée par la BCE, sous la houlette de Mario Draghi a éloigné le spectre de l’implosion de l’euro et a favorisé le retour de la croissance (et de la baisse du chômage) en Europe, la crise grecque n’est en rien résolue et va se rappeler bientôt à notre souvenir. Si l’Union européenne a su, trop tard et trop peu, mais tout de même, faire face à  la crise des dettes souveraines et des banques en 2013 ; si elle a su contenir – provisoirement ? – l’expansionnisme de Poutine en Ukraine … son avenir se joue aujourd’hui par son aptitude à contrôler ses frontières extérieures, maîtriser les flux migratoires, accueillir et intégrer les réfugiés bénéficiant du droit d’asile. Nous devons sauver Schengen, comme nous avons sauvé l’euro, et pour cela, promouvoir les réformes nécessaires.
Les moyens de  doivent être qualitativement renforcés. Les 11 centres d’accueil et de sélection des migrants, aux frontières de l’UE (les « hot spots ») doivent être ; les réfugiés bénéficiant du droit d’asile doivent être répartis dans tous les états de l’UE. Ceux qui refusent leur quote-part doivent être sanctionnés.
Les états de premier accueil doivent être aidés ; la coalition anti-Daech doit être renforcée ; les flux des migrants et des réfugiés doivent être réduit, voire taris, à la source, par une politique de coopération et de co-développement avec les pays de départ.