Sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron doit accepter un compromis offensif publié dans le Huffingtonpost

S’il retire sa réforme, il ruine ses chances pour 2022 et désavoue Édouard Philippe. Mais la stratégie du pourrissement qui semble tenter certains au gouvernement est dangereuse.

5e1304cb2500003b1998fe4bQuand existe dans un pays un mécontentement profond et ancien d’une majorité de la population, mesuré régulièrement par les résultats aux élections et les enquêtes d’opinion; et que les gouvernants commettent l’imprudence de donner à ce mécontentement multi-causal un objectif de lutte unificateur; alors la probabilité que surgisse un vaste mouvement social contre le pouvoir est forte. C’est ce qui est arrivé il y a un an, à l’automne 2018, avec les Gilets jaunes, soulevés contre la taxation ”écologique” des carburants. C’est ce qui arrive aujourd’hui, depuis le 5 décembre 2019, avec la mobilisation des roulants de la SNCF et de la RATP contre la réforme du système des retraites. L’une et l’autre mobilisations soutenues pendant des mois par une large majorité de la population. 

Emmanuel Macron a su maîtriser le mouvement des Gilets jaunes en dissociant les Gilets jaunes modérés, revendiquant plus de pouvoir d’achat et de justice sociale, des “ultra- jaunes” extrémistes, exigeant la démission du gouvernement et la tenue de nouvelles élections. Aux premiers, il a concédé une dizaine de mesures sociales, dont l’ardoise finale s’est élevée à 17 milliards d’euros. Aux seconds, il a opposé une répression sans faiblesse, sinon sans bavures, légitimée par les exactions spectaculaires des “black blocs”. Simultanément, le chef de l’État a repris l’initiative en animant le “Grand débat”, auquel ont participé des foules dix fois supérieures à celles que mobilisaient les Gilets jaunes au même moment. Cette stratégie de dissociation s’est avérée doublement efficace: elle est parvenue à marginaliser peu à peu le mouvement des Gilets jaunes; elle a créé, nouvelle Ruse de l’Histoire, les conditions du bon score de la liste macroniste aux élections européennes de mai 2019, une bonne partie de l’électorat de droite préférant voter pour le nouveau Parti de l’Ordre plutôt que pour celui, en voie de décomposition, de François-Xavier Bellamy.

Emmanuel Macron a su maîtriser le mouvement des Gilets jaunes en dissociant les Gilets jaunes modérés, revendiquant plus de pouvoir d’achat et de justice sociale, des “ultra- jaunes” extrémistes, exigeant la démission du gouvernement.

Le gouvernement s’efforce d’appliquer aujourd’hui la même tactique au mouvement contre l’instauration de la retraite par point: Il reste ferme sur le principe de cette réforme elle-même. Mais il admet des concessions importantes et onéreuses concernant ses modalités d’application. L’instauration de la “retraite universelle” est étalée dans le temps et intègre de multiples compensations visant à dédommager ses perdants. Le gouvernement espère ainsi obtenir le soutien des syndicats réformistes –la CFDT, favorable depuis dix ans à la retraite par point, ainsi que l’UNSA; et isoler les syndicats protestataires -CGT, FO, Solidaire-, accusés de paralyser le pays pour défendre en réalité le statu quo, et en particulier, les régimes spéciaux. 

Cette stratégie se heurte au fait que le mouvement contre la réforme des retraites excède, et de loin, son objet déclaré –la défense des systèmes de retraite existants-, et cristallise un mécontentement social beaucoup plus large: la révolte des classes populaires et moyennes contre l’injustice sociale et leur volonté d’en découdre avec un gouvernement perçu comme celui des riches. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison du soutien aux grévistes d’une majorité des Français, malgré la gêne considérable que leur mouvement leur inflige, notamment en région parisienne. Les dirigeants de la CFDT et de L’UNSA sont soumis à la pression de leur base, solidaire des grévistes de “l’Intersyndicale” et partageant souvent ses revendications, plutôt que celles de leurs propres confédérations. 

De son côté, le gouvernement est déterminé à aller jusqu’au bout de sa réforme, quitte à en payer le prix (exorbitant) pour les finances publiques. Il n’aurait sans doute pas dû l’engager, dans les rapports de force politiques et sociaux existants, révélés par l’épisode des Gilets jaunes. Quand on a les deux-tiers des Français qui désapprouvent votre action, on ne dispose pas des moyens politiques d’une “réforme-cathédrale” du système des retraites. En Suède, ce système a été adopté, à l’unanimité des députés et des partenaires sociaux, au bout de quatorze ans de négociation!

Le gouvernement n’aurait sans doute pas dû engager la réforme, dans les rapports de force politiques et sociaux existants, révélés par l’épisode des Gilets jaunes. Quand on a les deux-tiers des Français qui désapprouvent votre action, on ne dispose pas des moyens politiques d’une “réforme-cathédrale”.

Convaincu par les enquêtes d’opinion qu’une majorité de Français souhaitent une réforme des retraites, et en particulier la suppression des régimes spéciaux; et sachant que la CFDT et l’UNSA sont favorables à la retraite par point sous certaines conditions, Emmanuel Macron espère aboutir à un accord en janvier 2020, qui préservera l’essentiel. S’il retire sa réforme, comme l’exige Philippe Martinez et l’inter-syndicale des cheminots comme celle des syndicats de la RATP, il perd le soutien des électeurs de droite conquis en 2019, dans son bras-de-fer avec les Gilets jaunes, sans reconquérir pour autant ses électeurs de gauche. Il désavoue son premier ministre, Édouard Philippe, et le contraint à la démission, probablement suivi par les autres ministres régaliens venus de LR. Il ruine ses chances de réélection en 2022. C’est dire qu’il ne peut pas le faire, quand bien même il le souhaiterait. Au demeurant, en l’absence d’alternatives politiques, à gauche comme à droite, rien ne l’y oblige.

La stratégie du pourrissement qui semble tenter certains au sein du gouvernement est dangereuse: elle engendrera rancœurs et volonté de revanche au sein des salariés; et l’opinion publique de gauche rendra le pouvoir responsable du chaos qui ne manquera pas de se perpétuer en janvier et au-delà. L’intérêt du pays est que le gouvernement accepte de payer le prix d’un compromis dynamique avec la CFDT et L’UNSA.