Les bases de La République en Marche, «parti entreprise». Publié dans Libération
Un parti politique se définit par son idéologie, son programme, sa base sociale, son électorat, sa filiation historique, son mode d’organisation… Comment caractériser, selon ces critères classiques, La République en Marche, qui vient de se transformer en parti pour les élections législatives?
Sur le plan idéologique, le macronisme se définit lui même comme un «progressisme». Par sa culture, sa formation et son parcours politique, Emmanuel Macron est un homme de gauche. Il se réclame du rationalisme et de l’humanisme universaliste des Lumières, convaincu que le monde peut être connu par la Raison et amélioré par l’action consciente et organisée des hommes. Il est antiraciste, antixénophobe, anticolonialiste aussi, jusqu’à qualifier certains épisodes de la guerre d’Algérie de «crimes contre l’Humanité». Il est habité par un optimisme historique qui récuse le misérabilisme, le déclinisme, le pessimisme foncier, qui caractérisent aujourd’hui tant d’acteurs politiques, sociaux, et médiatiques dans notre pays en proie à une dépression collective. Dans le champ idéologique français, il s’oppose au nationalisme de repli, xénophobe, populiste, autoritaire, réactionnaire, de l’extrême-droite et de la droite extrême ; à l’ultra-libéralisme économique et au social-sadisme de la droite néo-thatchérienne de LR ; au catastrophisme et à l’irénisme du populisme de gauche, qui prospèrent sur l’opposition Peuple-Elite et la mobilisation des «passions tristes» - colère, ressentiment, haine sociale - ; mais aussi au conservatisme de «la vieille gauche», crispée sur des propositions politiques qui ont fait merveille avant la globalisation de l’économie et la révolution numérique, mais qui sont inopérantes dans nos sociétés de l’innovation, soumises aux risques et aux chances de l’ouverture sur le monde.
Un centrisme à vocation hégémonique
Sur le plan politique, Emmanuel Macron entend réussir le vieux rêve de François Bayrou : dépasser l’opposition gauche-droite, selon lui désormais secondaire, et instituer un grand parti modernisateur du Centre, «libéral, social et européen».
Libéral au sens économique du terme, car désireux de lutter contre les rentes et les corporatismes, et de faciliter les initiatives des entrepreneurs et des entreprenants. Le programme économique d’Emmanuel Macron s’engage à «assouplir le droit du travail», à instituer une fiscalité favorable aux investisseurs, à stabiliser puis à réduire la dépense publique et le nombre de fonctionnaires, à respecter le «sérieux budgétaire»…
L’analyse sous-jacente à cette orientation, c’est que parmi les multiples causes du chômage de masse français, comme de notre faible taux de croissance, l’excès de réglementation, la rigidité du marché du travail, la fiscalité du capital, jouent un grand rôle. Macron ne méconnait pas les autres causes de cette peu glorieuse exception française qu’est la persistance, sur trois décennies, d’un chômage structurel élevé (déjà 10% en 1993, et 10% encore aujourd’hui) : la médiocre spécialisation de nombre de nos entreprises dans le milieu de gamme de leur marché, qui les rend vulnérable à la compétitivité-prix ; l’insuffisance de notre effort de recherche et développement ; les carences de notre système scolaire et de formation professionnelle des adultes ; la fragmentation et la politisation de nos partenaires sociaux ; la persistance dans notre pays d’une culture de l’affrontement, quand prévaut chez nos principaux concurrents, une culture du compromis et de la coopération…
Mais la mauvaise organisation du marché du travail et la fiscalité anti-business figurent, selon lui, en bonne place dans cette chaîne de causalité. C’est là un désaccord profond avec la majorité de la gauche et des socialistes, qui pensent au contraire que le marché du travail a déjà été suffisamment «assoupli».
Son libéralisme reste toutefois fortement teinté d’interventionnisme étatique, c’est un libéralisme à la française. Emmanuel Macron s’adonne aisément aux délices du "meccano industriel" , Carlos Ghosn, président de Renault, Henri Proglio, patron d’EdF, parmi d’autres, en savent quelque chose.
Importer le modèle scandinave
Libéral-colbertiste sur le plan économique, le macronisme se veut néanmoins social. Plus que des modèles anglo-saxons, il s’inspire sur ce terrain des modèles sociaux-démocrates nordiques, qu’il entend acclimater aux conditions françaises. A la Suède il emprunte la retraite par points, au Danemark, la «flexisécurité», à l’ensemble des pays scandinaves, le financement des prestations sociales par le budget de l’Etat et non plus par les cotisations des salariés et des employeurs. Il s’inspire également de leurs systèmes de formation permanente et de réinsertion des chômeurs dans l’emploi.
Au niveau sociétal, Macron est un libéral-libertaire, il ne faut pas chercher ailleurs l’engouement qu’il suscite chez Daniel Cohn-Bendit et les «bobos» des centres villes. Le nouveau Président salue le rôle émancipateur de la génération de Mai 68 dans la libération des mœurs, et s’engage à défendre et à approfondir ses conquêtes contre les assauts de la réaction rigoriste et obscurantiste de «Sens commun», comme des fondamentalistes musulmans : droit au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels, droit à l’avortement, droit de mourir dans la dignité…
Hourrah l’Europe !
Ce social-libéralisme est enfin crânement européen. Il prend de front l’euroscepticisme, l’europessimisme, l’europhobie ambiantes en proposant de relancer et de réorienter l’Union européenne par une stratégie de construction différenciée – ceux qui veulent aller plus vite et plus loin doivent pouvoir le faire -, et de compromis dynamiques, plutôt que d’affrontement, avec nos partenaires.
Une base sociale dynamique, mais trop étroite
La base sociale de En Marche est la petite et moyenne bourgeoisie urbaine diplômée, plutôt que la bourgeoisie traditionnelle des beaux quartiers (qui a voté massivement Fillon) : les «gagnants» de la mondialisation et de la révolution numérique, ceux qui sont équipés pour bénéficier de ses opportunités. Base trop étroite pour constituer à elle seule un «bloc social hégémonique», capable d’entraîner la société tout entière, mais noyau dominant d’un tel bloc, comme le fut autrefois la classe ouvrière industrielle, constituant le noyau dirigeant et unifiant du salariat. L’alliance de cette classe moyenne urbaine, des classes populaires et des exclus – chômeurs, salariés précaires, travailleurs pauvres – est à reconstruire. Emmanuel Macron saura-t-il prendre en charge les intérêts légitimes de ces alliés nécessaires ? La réussite de son quinquennat en dépend.
L’union du centre-gauche et du centre-droit
La coalition politique qu’il s’efforce de construire, au sein d’En Marche - s’il obtient une majorité absolue au Parlement le 18 juin, comme il l’espère ; en alliance avec d’autres partis «macron-compatibles» s’il y échoue - rassemble le Centre gauche (sociaux-démocrates, radicaux, écologistes responsables, démocrates-chrétiens) et le Centre-droit (Modem, UDI, gaullistes sociaux...) L’instauration d’une forte dose de proportionnelle rendra ces familles politiques autonomes, par rapport aux radicaux de leur camp, et permettra la pérennité de leur coalition.
Un «parti entreprise»
Le parti qu’il entend construire relève, pour l’instant, de la forme aujourd’hui fort en vogue du «parti entreprise», dirigé d’une main de fer par son fondateur et chef charismatique.
On dira : il est trop tôt pour caractériser le macronisme, objet politique non identifié, en phase de constitution. Beaucoup dépendra de l’issue des élections législatives du 18 juin. La synthèse macronienne ne sera pas la même si LREM obtient la majorité absolue, la majorité relative ou se trouve en minorité à l’Assemblée nationale, face à la droite et à l’extrême-droite. En toute hypothèse, la tâche de son premier gouvernement sera rude, dans notre France fragmentée et en proie à une double radicalisation. C’est alors que l’existence d’une gauche de gouvernement rénovée s’avèrera utile, et peut-être salutaire, pour la réussite du quinquennat.