Le FN, parti de la banqueroute. Publié dans le NouvelObs
L’application du programme économique et social de Marine Le Pen plongerait notre pays et l’Europe dans un chaos profond. Voici pourquoi.
Henri Weber est membre du Parti socialiste, ancien sénateur et ancien député européen. Il dessine pour l"Obs" le scénario du retour au franc..s et son impact désastreux sur le pays.
"L’application du programme économique et social de Marine Le Pen plongerait notre pays et l’Europe dans un chaos profond. Le premier engagement de ce programme est la sortie de l’euro et le retour au franc. Le second est une augmentation massive de notre dépense publique (118 milliards d’euros par an).
FN : des propositions économiques toujours pas crédibles
Pourquoi détruire l’euro, alors que grâce à la politique monétaire expansive de la Banque centrale européenne, notre monnaie a perdu 30% de sa valeur par rapport au dollar et a cessé d’être surévaluée pour la France ? Afin d’améliorer la compétitivité de nos entreprise en dévaluant le franc retrouvé, répond Marine Le Pen, et reconquérir des parts de marché détenues par nos concurrents.
Ceux-ci ne vont-ils pas s’empresser de dévaluer à leur tour la lire, la peseta, l’escudo, eux aussi ressuscités ? La sortie de l’euro, c’est la rentrée dans la guerre des monnaies, cette forme particulièrement pernicieuse et dommageable de concurrence entre les nations que nous avons connue au siècle dernier. C’est entre autre pour y mettre un terme qu’a été institué l’euro en 1999.
Le scénario du retour au franc et aux monnaies nationales européennes, dans le contexte économique, social et politique de 2017 se résume en 3 séquences.
1 La ruée vers les banques
La première est la ruée aux guichets des banques et aux distributeurs de billets : le "bank run" comme disent les Anglo-Saxons.
Avant même le 23 avril 2017, premier tour de l’élection présidentielle, si Marine Le Pen est donnée possiblement gagnante, les épargnants, grands et petits chercheront à se prémunir contre les dévaluations du franc et la fonte de leur épargne, en retirant des banques le maximum de leurs avoirs. Les plus fortunés mettront d’un clic leurs capitaux en lieu sûr, à l’étranger. Ils achèteront de l’or, des devises, des tableaux, des biens immobiliers…
Les petits épargnants formeront de longues files d’attente devant les guichets automatiques bancaires. Ils sortiront un maximum d’espèces, en prévision d’une limitation des montants quotidiennement autorisés. Ils se souviendront de l’expérience de 1983 et de la restriction des sommes qu’on pouvait emporter en voyage, ou tirer à l’étranger.
Par crainte des faillites bancaires, le gouvernement sera contraint de décréter le contrôle des mouvements de capitaux et celui des changes, comme en Grèce en 2011 et 2013, aggravant aussi l’inquiétude des épargnants, et précipitant leur panique. Celle-ci enflera pendant toute la période électorale, de la mi-avril à la fin juin, puis pendant les six mois qui précèderont le referendum sur la sortie de l’euro, promis par la nouvelle présidente.
2 L'augmentation de la dette
Les dévaluations du franc augmenteront mécaniquement le niveau de notre dette publique – aujourd’hui 2.200 milliards d’euros, soit 97% du PIB – et de nos dettes privées – 4.100 milliards d’euros, soit 230% du PIB. Elles entraîneront une hausse des taux d’intérêts consentis aux emprunts de la France (180 milliards d’euros par an, pour les emprunts d’Etat). Elles alourdiront le service de ces dettes : +7 milliards d’euros par an pour la dette souveraine, +50 milliards pour les dettes privées, d’après l’Institut de l’Entreprise.
3 Le renchérissement du coût de la vie
Elles renchériront le coût de la vie pour les ménages, qui paieront plus cher l’énergie, les matières premières, les transports, les marchandises que nous ne produisons plus et qu’il nous faudra importer. Elles renchériront également les coûts de production des entreprises, qui paieront plus cher les biens intermédiaires et les composants qu’elles doivent importer pour la fabrication de marchandises "made in France" (40% de la valeur totale de ces biens). Les pseudo économistes du FN ne savent pas que la chaîne de production s’est internationalisée.
4 Corriger les défauts de la zone euro
Tout cela, alors que la preuve est faite que la maitrise de la parité de l’euro par rapport au dollar et au yuan est possible : la politique monétaire expansive de la Banque centrale européenne, depuis 2015, a permis de ramener cette parité de 1 dollar pour 1,60 euro en avril 2008 à 1 dollar pour 1,10 euro aujourd’hui. À ce niveau, l’euro a cessé d’être handicapant pour les économies de l’Europe du sud : les exportations espagnoles et italiennes sont au plus haut.
Conjurer le scénario catastrophe de l’implosion de l’euro, ce n’est pas se résigner à la situation actuelle. Le fonctionnement de la zone euro a bien des défauts, qu’on peut et qu’on doit corriger. Certains sont conjoncturels, ils découlent de l’orientation conservatrice-libérale de la majorité européenne au Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement, à la Commission et au Parlement.
D’autres sont structurels, ils renvoient aux "vices de construction" initiaux de la monnaie unique et de l’eurozone : limitation des missions de la BCE (du moins jusqu’à l’ère Draghi…), insuffisance du budget de l’Union (1% du PIB européen – à comparer aux 20% du budget fédéral dont bénéficie le budget fédéral américain –, absence d’un gouvernement économique…
5 Réformer
Pour améliorer l’existant, en bons réformistes, il faut :
- Promouvoir une stratégie de construction différenciée de l’Union européenne, avec un "premier cercle" rassemblant les six Etats fondateurs, plus l’Espagne et la Pologne. Même Angela Merkel en est désormais convaincue ;
- Elargir les missions de la BCE et en faire une Banque centrale complète, comparable à la Réserve fédérale américaine (FED) ;
- Doter l’Eurozone d’un Parlement, d'un gouvernement économique et d'un budget propre ;
- Promouvoir une ambitieuse politique de relance de la croissance en Europe par l’investissement : édifier l’Europe de l’énergie, du numérique, de l’intelligence artificielle, de l’agriculture bio ;
- Substituer le "juste-échange", incorporant les normes sociales et environnementales dans les traités commerciaux, au libre échange généralisé…
Il y a deux façons de sortir de la crise de l’euro (et de l’UE) : par le bas, en retournant aux Etats-Nations et à leur périlleux "concert" ; par le haut, en accomplissant les réformes nécessaires.
C’est sans doute le principal clivage qui structure le champ politique, français et européen, dans notre jeune XXIe siècle. Il ne se substitue pas au clivage droite-gauche, mais s’y surajoute. Le croisement de ces deux couples d’opposition éclaire la bataille de la présidentielle. "