Front National: le parti de la faillite? Publié dans Slate
Une élection de Marine Le Pen aurait des conséquences désastreuses pour l'économie, le PIB, l'emploi, le coût de la vie... Par Henri Weber, du Parti Socialiste.
La sortie de l’Euro, le retour aux monnaies nationales que promet Marine Le Pen est un scénario-catastrophe qu’il faut conjurer et non provoquer. Il aurait pour conséquence une forte dévaluation du franc ressuscité; un alourdissement de nos dettes publiques et privées; une hausse des taux d’intérêts consentis à la France par les investisseurs internationaux; une envolée, en conséquence du service de la dette (aujourd’hui second poste budgétaire, a 44 milliards d’euros par an, malgré des taux d’intérêts inférieurs à 1%). Une ruée des épargnants aux guichets des banques et aux distributeurs de billets (le «bank-run») comme en Grèce en 2011 et en 2013 pour retirer leurs économies et les protéger de la dépréciation.
Un renchérissement du coût de la vie pour les ménages, qui paieraient plus cher leur énergie, leur transport, les biens et les services que nous ne produisons plus en France. Un renchérissement aussi des coûts de production des entreprises, qui paieront davantage les biens intermédiaires et les composants qu’elles doivent importer pour la fabrication des biens «made in France» (soit 40% de la valeur total de ces biens).
De nombreuses banques et entreprises feront faillite, l’activité économique se réduira sensiblement: le PIB de la France reculera de 2,3% au cours de la première année du retour du franc, selon un rapport de l’Institut Montaigne et serait inférieur de 9% à long terme, par rapport au niveau qu’il aurait atteint sans cette décision. Le chômage et le travail précaire connaitraient un nouveau bond en avant -500.000 emplois seront détruits dans l’Hexagone par une nouvelle récession. Le retour des dévaluations compétitives (le franc est dévalué de 10%, la lire de 15%, la peseta de 20%, le franc à nouveau de 5%, et ainsi de suite) et du protectionnisme de repli, prétendument intelligent, dans un espace économique européen étroitement intégré, aggravera la crise économique. Celle-ci provoquera le ressentiment et la colère de ses victimes, l’explosion de violents mouvements sociaux, les succès des partis populistes, surtout d’extrême-droite.
Tout cela, alors que la preuve est faite que la maitrise de la parité de l’euro par rapport au dollar et du yuan est possible: la politique monétaire expansive de la Banque centrale européenne a permis de ramener cette parité de 1$ pour 1,60€ en avril 2008 à 1$ pour 1,05€ aujourd’hui. À ce niveau, l’euro a cessé d’être handicapant pour les économies de l’Europe du Sud aujourd’hui: les exportations espagnoles et italiennes sont au plus haut.
Conjurer le scénario catastrophe de l’implosion de l’euro, ce n’est pas se résigner à la situation actuelle, le fonctionnement de la zone euro a bien des défauts, qu’on peut et qu’on doit corriger. Certains sont conjoncturels, ils découlent de l’orientation conservatrice-libérale de la majorité européenne au Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement, à la Commission et au Parlement. D’autres sont structurels, ils renvoient aux «vices de construction» initiaux de la monnaie unique et de l’eurozone: Limitation des fonctions de la BCE (du moins jusqu’à l’ère Draghi…) insuffisance du budget de l’Union (1% du PIB européen, à comparer aux 20% du budget fédéral des Etats-Unis) absence d’un gouvernement économique…Pour améliorer l’existant, en bons réformistes, il faut:
• Promouvoir une stratégie de construction différenciée de l’Union européenne, avec un «premier cercle» rassemblant les six États fondateurs, plus l’Espagne et la Pologne. Même Angela Merkel en est désormais convaincue.
• Élargir les missions de la BCE et en faire une Banque Centrale Complète, comparable à la Réserve Fédérale américaine (FED).
• Doter l’Eurozone d’un Parlement, un gouvernement économique et un budget propre.
• Promouvoir une ambitieuse politique de relance de la croissance en Europe, par l’investissement: édifier l’Europe de l’énergie, du numérique, de l’intelligence artificielle, de l’agriculture bio, de la transition écologique.
• Substituer le «juste-échange», incorporant les normes sociales et environnementales dans les traités commerciaux, au libre-échange généralisé…
Il y a deux façons de sortir de la crise de l’euro (et de l’UE): par le bas en retournant aux États Nations et à leur périlleux «concert». Par le haut, en accomplissant les réformes nécessaires.
C’est sans doute le principal clivage qui structure le champ politique, français et européen dans notre jeune XXIe siècle. Il ne se substitue pas mais se surajoute au clivage droite-gauche. Le croisement de ces deux couples d’opposition éclaire la bataille des présidentielles.