La sortie de l'euro préconisée par le FN est un scénario catastrophe anti-national. Publié dans le HuffingtonPost

Si, par malheur, une telle médecine devait être appliquée, elle mettrait à terre notre pays pour longtemps. Le programme du prétendu "Front national" est certes anti-européen mais il est aussi anti-national.

http o.aolcdn.com hss storage midas c1282abb1da51a85c6aba17f4f46b6d8 204748341 RTX1E4YJPour l'élection présidentielle de mai 2017, le programme du Front national tient en quatre points:

- sortir de l'euro et revenir au franc,

- augmenter massivement les dépenses publiques (+118 milliards d'euros) (1),

 

- appliquer la "préférence nationale" à l'encontre des étrangers,

- arrêter et inverser le flux migratoire.

Si, par malheur, une telle médecine devait être appliquée, elle mettrait à terre notre pays pour longtemps. Le programme du prétendu "Front national" est certes anti-européen mais il est aussi anti-national.

 

Les conséquences calamiteuses de la sortie de l'euro

La disparition de l'euro est un scénario catastrophe que nous devons conjurer et non pas provoquer. Le retour aux monnaies nationales aurait un coût exorbitant:

 

1. Il rallumerait la guerre des monnaies européennes, les unes contre les autres, que nous avons connu dans le dernier quart du siècle précédent. Si nous dévaluons le franc de 20 %, les Espagnols dévalueront la peseta de 25% et les Italiens la lire de 30%, (comme ils l'ont fait en 1992); ce qui nous conduirait à dévaluer à nouveau le franc de 10%, etc. C'est pour mettre un terme à ce cercle vicieux des "dévaluations compétitives", fatal à la solidarité et à l'efficacité européennes, que l'euro a été inventé.

 

2. Il provoquerait une crise économique majeure. C'est une illusion de croire que les gouvernements pourraient souverainement décider des parités de leurs monnaies nationales au cours d'un week-end prolongé. Ce ne sont pas les gouvernements mais les marchés financiers qui fixent la valeur des monnaies en système de change flottant; les monnaies des pays d'Europe du Sud et de l'Est se déprécieraient bien au-delà des seuils espérés. Celles des pays du Nord s'apprécieraient bien davantage que les niveaux escomptés. Craignant de voir fondre leurs économies en même temps que leur monnaie nationale, les épargnants des pays en difficulté se précipiteraient aux guichets des banques pour retirer leurs avoirs. Nombre de celles-ci feraient faillite, entraînant dans leur chute une myriade d'entreprises et de ménages. D'autant que ces banques détiennent de nombreuses créances des États et des entreprises des pays périphériques, aujourd'hui libellées en euros. Convertis dans leurs monnaies nationales dévaluées, ces avoirs perdraient une grande partie de leur valeur au détriment de leurs détenteurs.

3. Le niveau de notre dette –2200 milliards d'euros, (97% de notre PIB), détenus aux deux tiers par des fonds étrangers- bondirait en proportion de la dévaluation du franc. Si celle-ci se limite à 20%, notre dette publique passerait à 2640 milliards d'euros (+440 milliards) et la charge de la dette pèserait 7 milliards supplémentaires sur notre budget.

4. Les taux d'intérêts consentis à la France grimperaient en flèche. Marine Le Pen nous objecte que l'essentiel de cette dette étant contracté en droit français, elle pourrait être légalement convertie et remboursée en francs dévalués, ce qui allègerait d'autant son montant. Ce serait nos créanciers étrangers qui subiraient le coût de l'opération. Le fond de pension californien qui nous aurait prêté 100 euros serait remboursé avec 100 francs, qui ne vaudront plus que 80 euros et perdrait donc 20 euros. Mais, après ce hold-up, qu'en sera-t-il du crédit de la France? Les fonds d'investissement et les agences de notation ont déjà annoncé qu'ils considéreraient cette rupture unilatérale de contrat comme un défaut de paiement.

Nous aurons à nous présenter à nouveau sur les marchés financiers –nos besoins en emprunts s'élèvent à plus de 180 milliards d'euros par an– et si ceux-ci trouvent encore preneurs, ce sera à un taux d'intérêt intégrant un risque de défaut de paiement. Les taux d'intérêts grimperaient en flèche, alourdissant gravement le service de la dette (s'élevant aujourd'hui à 44,5 milliards d'euros par an).

5. Le coût des importations d'énergies, des matières premières, des nombreux produits manufacturés que nous ne fabriquons plus en France, s'envolerait. Il en serait de même pour les biens intermédiaires importés qui entrent de plus en plus dans la fabrication des produits "made in France". Aujourd'hui ces importations représentent environ 40% de nos exportations. Le FN ignore que la chaîne de production s'est internationalisée.

6. Les mesures protectionnistes que Marine Le Pen propose entraîneront autant de rétorsions de la part de nos partenaires commerciaux. Or 25% des salariés français travaillent pour l'exportation. 80% de la croissance mondiale se trouve dans les pays émergents, à forte expansion démographique et économique. Notre intérêt est de faciliter l'accès de nos biens et de nos services aux marchés en expansion rapide des pays émergents et d'Amérique du nord, non de le compliquer encore par un protectionnisme de repli prétendument "intelligent".

7. Le chômage de masse et de longue durée connaîtrait un bon en avant. D'après le chef économiste de la banque ING, peu suspect de sympathie socialiste, une sortie unilatérale de la France de l'euro se traduirait par une contraction de 4% de notre PIB la première année et de 10% sur trois ans. Le taux de chômage passerait à 14%. Notre système de protection sociale, aujourd'hui déficitaire, tomberait en ruine, le gouvernement serait contraint d'instaurer un contrôle des changes et des mouvements de capitaux. Il devrait également procéder à un emprunt obligatoire. Le chaos économique entraînerait des explosions sociales et une double radicalisation politique de nos sociétés, qui profiterait surtout à l'extrême droite. D'autant que le retour à la guerre des monnaies et au protectionnisme de repli en Europe exacerberait les nationalismes xénophobes, toujours prêts à renaître de leurs cendres.

8. Le recours à la planche à billet entraînera une inflation galopante. "La Banque de France, émancipée de la tutelle de la BCE, et revenue sous l'autorité du gouvernement français, financera les dettes publiques et privées, en actionnant à plein la planche à billets, répond encore Marine Le Pen. Notre Etat, nos entreprises, nos ménages, n'auront plus besoin de recourir aux prêteurs étrangers"... Cet expédiant bien connu débouchera sur une inflation galopante, comme nous en avons fait maintes fois l'expérience.

Sortir de l'euro, à quoi bon?

Il est d'autant plus absurde de s'imposer une telle tragédie, que la preuve est faite que l'Union européenne peut mettre en œuvre une politique active et efficace des changes. Fort du soutien de la France, et d'une majorité d'Etats membres, la Banque centrale européenne, sous la conduite de Mario Draghi, s'est lancée dans une politique monétaire expansive, depuis 2013, qui a permis d'en finir avec l'euro cher (1€ valait 1,60$ en juin 2015), et obtenir une dévaluation de 30% de sa valeur par rapport au dollar, jusqu'à parvenir à une quasi parité (aujourd'hui, 1€ vaut 1,10$ ). C'est affaire d'orientation et de volonté politiques.

La destruction de l'euro est un scénario catastrophe qu'il faut conjurer, et non provoquer. Pour cela, il faut promouvoir dans l'UE une politique monétaire et économique qui favorise la compétitivité des entreprises; l'expérience récente montre que c'est possible.

(1) Soit une hausse des budgets de la défense (+42 milliards), de la Recherche (+4 mds); recrutement massif de policiers, gendarmes, douaniers, magistrats (+1 mds); revalorisation des prestations sociales (+3mds); prime de pouvoir d'achat (+18 mds); retour de la retraite à 60 ans et aux 40 années de cotisation (+32 mds); ouverture de 40.000 places supplémentaires de prison (+5 mds); nationalisation des sociétés d' autoroutes.