Ce qui a permis la victoire sidérante de Donald Trump est à l'oeuvre en France et en Europe. Publié dans le Huffingtonpost

En Europe aussi, les "plafonds de verre" qui bloquent l’accession au pouvoir d’Etat des nationaux-populistes pourraient céder.

L'accablante victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine résulte de la conjonction de trois causes profondes et de multiples causes contingentes.

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La première est économique et sociale: la démocratie américaine paie la note de la contre-réforme libérale survenue sous Ronald Reagan (1980-1988): trente années de libéralisation, de déréglementation, de financiarisation de l'économie; d'affaiblissement des syndicats; de paupérisation des services publics; de libre échange débridé ont nourri l'explosion des inégalités, l'aggravation des conditions de travail, la montée de la précarité, l'affaissement des industries traditionnelles. Les fruits de la croissance ont profité à 10% de la population, et surtout, au 1% les plus riches. Les classes moyennes et populaires ont vu quant à elles leurs revenus stagner ou régresser.

 

La déréglementation financière -que Donald Trump veut accentuer- a aggravé la volatilité de l'économie, induisant le retour des crises systémiques. La dernière en date, survenue en 2008, celles des "subprimes", a été la plus grave que l'économie mondiale ait connue depuis 1929. Des millions de ménages ont vu leur maison saisie, leur emploi supprimé, leur retraite amputée. Le sous-développement de l'Etat-Providence américain, comparé à ceux que la social-démocratie a édifiés sur le Vieux Continent, a rendu ces crises et ces évolutions particulièrement dures à vivre pour ceux -nombreux- qui en étaient victimes.

 
Le sous-développement de l'Etat-Providence américain, comparé à ceux que la social-démocratie a édifiés sur le Vieux Continent, a rendu ces crises particulièrement dures à vivre pour ceux -nombreux- qui en étaient victimes.

Ce n'est pas par hasard si le milliardaire démagogue a gagné les élections dans les Etats de la "ceinture de rouille" de l'Amérique industrielle, anciens fiefs démocrates.

 

La seconde raison de la victoire de Donald Trump est "identitaire": les blancs, chrétiens, d'origine européenne, deviennent peu à peu minoritaires aux Etats-Unis, ils le seront à coup sûr en 2050. Beaucoup ont confiance dans la capacité de la société américaine à intégrer les nouveaux venus. Mais beaucoup aussi craignent le "grand remplacement". Ils ont mal vécu l'installation d'une famille noire à la Maison Blanche. Le mouvement Black Lives Matter (la vie d'un noir a un prix) a exacerbé leur racisme. Ils sont nombreux parmi les moins diplômés, les plus pauvres, les habitants des petites villes et des cantons ruraux de "l'Amérique profonde". Le discours violemment xénophobe et nationaliste de Donald Trump leur est allé droit au coeur.

Le discours violemment xénophobe et nationaliste de Donald Trump leur est allé droit au coeur.

La troisième cause est d'ordre idéologique: une réaction contre le progressisme démocratique porté par le soulèvement international de la jeunesse des années 60, particulièrement fort et créatif aux Etats-Unis où il est né, est à l'oeuvre depuis trois décennies. Elle a engendré, notamment, le mouvement du "Tea Party", qui a profondément transformé le vieux parti Républicain. Les excès du "politiquement correct" lui ont facilité la tâche. Cette réaction -traditionaliste, autoritaire, religieuse- remet en cause le libéralisme culturel et politique, l'hédonisme de la génération des baby-boomers et de celles qui l'ont immédiatement suivie. Elle conteste les "dogmes" de l'égalité homme-femme, du droit à l'avortement, de celui de vivre la sexualité de son choix entre adultes consentants, de l'égalité des races et des politiques de "discriminations positives" qui en découlent. Elle préconise le retour à la Tradition, à la Religion, et au nationalisme de repli. Ces réactionnaires, au sens étymologique du mot, présents dans toutes les classes et les "minorités visibles" ont reconnu en Donald Trump le champion possible de leurs aspirations. Voilà qui explique peut-être pourquoi 53% des femmes blanches ont voté pour ce sexiste vulgaire et harceleur.

Les causes contingentes

Au chapitre des causes contingentes, citons l'ingérence dans la campagne du Président du FBI à 10 jours du scrutin, les dispositions prises par de nombreux Etats fédérés pour décourager les votes des jeunes et des minorités ethniques; l'impopularité de Hillary Clinton, perçue comme la quintessence de l'élite au pouvoir, jusque dans son camp malgré son programme gauchi par Bernie Sanders.

La trumpétisation de nos vies politiques

Les causes qui ont permis la victoire sidérante de Donald Trump aux Etats-Unis sont à l'oeuvre également en France et en Europe, quoique avec une moindre acuité. Ici aussi les victimes de la mondialisation et de la numérisation libérales aspirent à la protection de l'Etat; les angoissés de la "submersion étrangère" appellent à la fermeture des frontières; les nostalgiques de la "France d'avant" espèrent retrouver leurs repères. Si les démocrates ne savent pas apporter des réponses progressistes à ces inquiétudes et à ces aspirations, les "plafonds de verre" qui bloquent encore aujourd'hui l'accession au pouvoir d'Etat des nationaux-populistes se fracasseront.

La trumpétisation de nos vies politiques nous menace. Seule l'union des sociaux-démocrates et des progressistes permettra d'éviter ce cauchemar.

Dernier livre paru: "Eloge du compromis", éditions Plon, septembre 2016.