Crise grecque : les trois objectifs des socialistes

Face à la crise grecque, les socialistes français poursuivent trois objectifs.
Le premier est de maintenir la Grèce dans la zone euro, éviter au peuple grec, déjà si durement éprouvé par la politique ultra-austéritaire que lui imposent les « institutions » depuis cinq ans, le « scénario argentin », sans les richesses de l’Argentine, que lui recommande l’inénarrable Alain Badiou et quelques autres irresponsables.

Une sortie incontrôlée de l’euro, c’est la dévaluation de 40 à 70% de la drachme, la faillite des banques et de nombreuses entreprises, une nouvelle envolée du chômage, l’effondrement du système de protection sociale et des services publics ; le chaos, dans un pays situé entre les Balkans, le Proche-Orient et la Russie…
Le spectre du « Grexit » s’est éloigné, grâce à la persévérance et au savoir-faire de François Hollande, mais il n’a pas disparu. Le compromis du 13 juillet reflète les rapports de forces qui existent au sein du Conseil européen et de l’Eurogroupe. Le temps qu’il permet de gagner sera utile s’il est mis à profit pour s’attaquer aux problèmes de fond de la Grèce : la faiblesse et le manque de compétitivité de son économie, qu’elle ne peut plus surmonter, désormais, par des dévaluations monétaires ; l’absence persistante d’un Etat moderne, capable de lever l’impôt et d’éradiquer la corruption, le clientélisme, le népotisme, l’économie de rentes…
D’où le deuxième objectif des socialistes : créer les conditions économiques et politiques d’une croissance durable en Grèce. Pour cela, la restructuration de la dette grecque, soutenue par notre gouvernement, est une condition nécessaire mais non suffisante. Il faut aussi et surtout un ambitieux programme de développement économique, dans le cadre du Plan Juncker et des aides structurelles de l’UE, investissant dans les énergies renouvelables – la Grèce n’est dépourvue ni de soleil, ni de vent, ni de mers – les industries numériques, l’agro-alimentaire, les biotechnologies, le tourisme, les BTP, la santé…
Simultanément, l’Union européenne et l’Eurozone doivent porter assistance à la Grèce pour consolider un Etat de droit, doté d’une administration honnête, impartiale, efficace. En échange d’un troisième programme d’aide, évalué à 86 milliards d’euros, Alexis Tsipras s’est engagé à s’acquitter de ces nouveaux Travaux d’Hercule, tout en nettoyant ses écuries d’Augias.
Le troisième objectif a trait à la réforme de l’Union européenne et de l’Eurozone elles-mêmes. La crise grecque, mais aussi, celles, nullement dépassées, d’autres pays de la périphérie européenne, mettent en évidence les « vices de construction » de ces deux entités politiques. L’Union européenne n’est pas encore une fédération, il s’en faut de beaucoup, elle n’est pas « les Etats-Unis d’Europe », même si elle est déjà beaucoup plus qu’une simple confédération d’Etats indépendants. Sur toutes les questions qui fâchent – la fiscalité, la politique économique, la protection sociale… - elle décide à l’unanimité. Autant dire qu’elle décide peu et souvent trop tard. Too few, too late, comme disent les Britanniques.
Tant que la croissance était au rendez-vous, et les menaces géopolitiques aux abonnés absents, cette impotence relative était supportable. Mais avec l’accélération de la mondialisation et l’avènement de la troisième révolution industrielle, au tournant du siècle, elle s’est avérée trop paralysante. L’économie ayant horreur du vide, chaque gouvernement a fait face à la globalisation selon ses ressources et intérêts propres.
Les Etats membres de l’Union européenne ont mis en œuvre des stratégies économiques étroitement nationales, « non coopératives » comme on dit à Bruxelles, en réalité contradictoires, et alors que la réponse à la mondialisation et à la nouvelle révolution technologique aurait dû être aussi, et sans doute surtout, continentale. Les conséquences de ce « chacun pour soi » ont été encore accentuées par l’institution de l’euro en 1999. L’Eurozone est, en effet, on le sait, un espace monétaire unifié « non optimal » : elle dispose d’une monnaie unique, qui prive ses Etats membres de l’arme de la dévaluation, pour recouvrer leur compétitivité. Mais elle ne dispose ni d’un gouvernement économique, capable de coordonner les politiques budgétaires et de mettre en œuvre une stratégie de développement économique continentale ; ni d’une banque centrale complète, payeur en dernier ressort, soucieuse de croissance et d’emploi, autant que de stabilité monétaire ; ni d’un budget digne de ce nom (le budget de l’Europe à 28 est inférieur à 1% de la richesse produite dans l’UE, alors que le budget fédéral américain atteint 22% du PIB des USA) ; ni d’une fiscalité et d’un droit social harmonisés…
Dans ces conditions, le marché et la monnaie uniques favorisent non pas la convergence des économies des Etats membres vers le haut, mais la bipolarisation territoriale et la divergence des compétitivités. L’investissement industriel va aux pays et aux régions déjà les plus industrialisés, là où existe un éco-système économique de l’innovation et du développement. Les pays et les régions les moins industrialisés se désindustrialisent encore davantage. Seule une politique économique continentale et volontariste, soucieuse d’équilibre et d’aménagement des territoires, pourrait faire qu’il en soit autrement, comme on a pu l’expérimenter dans chacun de nos pays, entre les régions.
D’où l’importance d’une politique macro-économique européenne beaucoup plus ambitieuse que ne l’est l’actuel plan Juncker. D’une politique monétaire expansionniste de la BCE, incluant une politique active des changes. D’un effort d’harmonisation fiscale – en commençant par l’assiette de l’impôt sur les sociétés – et sociale. Du renforcement des aides régionales financées par les fonds structurels, la Banque européenne d’investissement, la BERD. D’un soutien européen à la lutte contre la corruption, le clientélisme, la fraude fiscale et sociale, pour l’édification d’une administration efficiente. D’une organisation politique et d’un budget spécifique, aussi, de la zone euro. L’intégration de la Grèce à l’Euroland exige, au-delà de sa modernisation économique et politique, que les Européens s’attaquent aux contradictions et aux « vices de construction » initiaux de leur entreprise.
Si l’Europe n’avance qu’à la faveur de ses  crises, comme le disait Jean Monnet, le moment est venu de lui faire accomplir quelques pas en avant. La tragédie grecque en souligne l’urgence et en offre l’occasion.

Henri Weber, directeur des études auprès du premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes