Le libéralisme économique n’est pas de gauche

Le mardi 6 octobre 2015 17:57

Le libéralisme est-il de gauche, comme le prétend Emmanuel Macron ? Les libéralismes politique et sociétal, sans aucun doute. Mais le libéralisme économique, revendiqué et illustré dans leurs derniers livres et discours par François Fillon, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, certainement pas !

Sur le plan politique, les socialistes sont des libéraux

Le libéralisme, en effet, est un mot-valise, qui recouvre des contenus différents. Il y a le libéralisme politique, doctrine née au XVIIème siècle et qui s'efforce de répondre à la question : "Comment être gouvernés sans être opprimés ? Comment garantir les individus contre l'arbitraire des gouvernants et des puissants ?". La réponse, bien connue, est : l'Etat de droit, la division et la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l'homme et du citoyen, la démocratie.
Les socialistes se tiennent en première ligne dans la lutte pour la défense et l’extension des droits et libertés des individus. Sur le plan politique, ils sont des libéraux, et même, parfois, des ultra-libéraux !
Il y a, en second lieu, le libéralisme culturel ou sociétal, qui s'efforce d'émanciper les individus du joug de la Tradition et de la Religion. Là aussi, les socialistes se tiennent au premier rang. Leur dernière conquête en date, s’inscrivant dans une longue série, est « le mariage pour tous ».
Il y a aussi le libéralisme économique. S'il s'agissait seulement d'une doctrine défendant les droits et les libertés économiques -liberté d'entreprendre, de gérer, d'échanger; droits de propriété...-, dans le cadre du respect de la loi et des contrats, les socialistes seraient sans doute également libéraux sur le plan économique.
L’idéologie de la « main invisible du marché »

Mais il s’agit en réalité de beaucoup plus que de cela. Le libéralisme économique, c’est l’idéologie de la « main invisible du marché » et de ses mystérieux tours de passe-passe. Celle-ci repose sur trois postulats, réfutés par la théorie et démentis par l’Histoire :
Le libre jeu de l’offre et de la demande dans un marché concurrentiel, dit le premier, permet la meilleure allocation des ressources, la croissance la plus forte, le taux d’emploi le plus élevé, en un mot, la réalisation au plus près de l’intérêt général.
Les marchés sont dotés de surcroît, dit le second, d’une vertu auto-régulatrice : quand il leur arrive de se tromper, ils redressent rapidement leurs erreurs, contrairement aux politiques.
En conséquence, concluent les tenants du libéralisme, c’est le troisième postulat, il faut étendre les lois du marché et les rapports marchands au maximum de secteurs d’activité.
C'est pourquoi les libéraux veulent toujours moins d’Etat, moins d'impôts, moins de charges... Ils ne sont pas partisans d'une économie sans règles, ils sont pour substituer des règles libérales aux règles social-démocrates conquises par le mouvement ouvrier. On les a vus à l'œuvre aux Etats-Unis sous Ronald Reagan ; en Grande-Bretagne, sous Margaret Thatcher, et à nouveau aujourd’hui sous David Cameron ; au FMI et à la Banque mondiale, au temps du « Consensus de Washington », avec le succès que l'on sait.
Cette idéologie est sortie complètement discréditée de la grande Dépression des années 30. Le keynésianisme sous toutes ses nuances lui a ravi le haut du pavé. Mais elle a fait un retour en force à la fin des années 1970 et s'est imposée comme idéologie dominante. On a appelé cela « la contre-révolution conservatrice ».
Sans croissance, pas de redistribution possible

Les socialistes français, ne partagent pas cette idéologie et ne pratiquent pas ces politiques. Sur le plan économique, ils ne sont pas des libéraux, ni même des sociaux-libéraux, mais des sociaux-démocrates. Ils sont partisans d’une économie sociale et écologique de marché : une économie de libre entreprise, régulée par l’action de la puissance publique et des partenaires sociaux. Une économie mixte combinant un secteur privé marchand, des services publics puissants et un tiers secteur d’économie sociale.
Leur conviction a été condensée par Lionel Jospin, en 1998. «  Nous sommes pour une économie de marché, mais contre une société de marché », proclamait-il à l’Université de La Rochelle. Ce qui veut dire que nous voulons favoriser l'initiative, l'innovation, l'esprit d'entreprise, la création d'entreprise et leur développement, car le socialisme doit se préoccuper de la production des richesses, et pas seulement de leur redistribution. Sans croissance, il n'y a pas de redistribution possible.
Mais en même temps, - et c'est en cela que nous sommes contre la société de marché -, nous voulons rénover et développer les services publics, assurer un haut niveau de redistribution sociale, limiter le champ de la marchandisation en France et dans le monde, restituer au pouvoir politique et syndical, en construisant l'Europe, la puissance que la mondialisation leur a fait perdre.
La droite nous assure que le libéralisme est un tout : le libéralisme politique, le libéralisme sociétal, le libéralisme économique, selon elle, sont trois facettes d’une même philosophie et doivent être défendus en bloc.
En réalité, dans la plupart des pays, ces trois modules sont, au contraire, dissociés. Dans le Chili de Pinochet, un libéralisme économique débridé - celui des Chicago Boys de Milton Friedman- coexistait avec un despotisme politique sanguinaire et un rigorisme moral étouffant. Dans la Suède social-démocrate, à l'inverse, un libéralisme politique et culturel avancé, accompagne un régime économique fort peu libéral : plus de 50% de la richesse produite sont prélevés et redistribués, les droits des salariés sont étendus, les syndicats et la puissance publique sont très présents dans la vie économique et sociale.
« A force de plier les mots dans tous les sens, disait Raymond Aron, on leur fait perdre leur sens ». Il faut, au contraire, aujourd’hui, le restituer.

Henri Weber, directeur des études, chargé des questions européennes, auprès du premier secrétaire du Parti socialiste