Parmi les nombreuses théories complotistes qui circulent sur le Net, la plus farfelue est sans doute celle qui prétend que Jean-Luc Mélenchon est un agent masqué du Parti socialiste, infiltré au Front de gauche pour veiller aux intérêts de la rue de Solférino.

722984 jean luc melenchon le 15 fevrier 2015 a parisSi l’on caractérise les acteurs politiques par leur pratique plutôt que par leurs discours, disent ces esprits tordus, force est de constater que pour les socialistes, si Mélenchon n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Qu’on en juge, argumentent-ils : sitôt sorti du PS, l’ex-sénateur socialiste, jospinophile et mitterrandolâtre, réussit une OPA amicale sur le PCF, éclaté en factions, et s’impose comme candidat unique du Front de gauche à l’élection présidentielle de mai 2012. Sa campagne électorale permet de mobiliser les électeurs communistes, de rameuter les abstentionnistes et de siphonner les voix des groupes trotskistes, passées de 10% en 2002 à 2% en 2012. Exit Besancenot, Poutou, Arthaud et tous ceux qui récusent la «discipline républicaine», au motif que la social-démocratie est l’ennemi principal. Prétextant, pour sa part, «qu’au premier tour on choisit, au second, on élimine», Jean-Luc Mélenchon appela dès le soir du résultat, le dimanche 22 avril, à 20 h 05, les 4 millions d’électeurs de gauche qui s’étaient portés sur son nom à soutenir François Hollande, «sans conditions». Il n’en manqua pas beaucoup, et c’est à bon droit que Jean-Luc peut s’enorgueillir d’avoir contribué à propulser François Hollande à l’Elysée.

Depuis, il assume la fonction de porte-voix de la gauche radicale. Mais, il le fait avec une telle outrance et sur un mode si patibulaire qu’il limite lui-même ses chances de progression et empêche l’essor d’un Syriza ou d’un Podemos à la française. Les déçus du hollandisme ne votent pas pour «la gauche de la gauche», mais se réfugient dans l’abstention ou cèdent aux sirènes du Front national, ce qui contribue à diviser et à extrémiser la droite.

Les tenants de ce délire complotiste ne manquent pas d’invoquer les efforts de Jean-Luc Mélenchon pour fragmenter la gauche radicale, et empêcher qu’elle ne se constitue en alternative crédible au PS. Ses sorties sur Chávez, puis Maduro ; sa complaisance envers Poutine, sa germanophobie «aux accents déroulédiens» ont fini par avoir raison des Verts et des communistes les mieux disposés. Bravo l’artiste ! concluent ces chétifs esprits.

Comme toutes ses semblables, cette théorie complotiste a les apparences de la vraisemblance, elle produit au premier abord un saisissant effet de vérité, mais elle procède d’un délire de rationalisation, dont il ne faut pas être dupe. Non, Jean-Luc Mélenchon n’est pas le chef d’une cinquième colonne social-démocrate au sein de la gauche radicale. Oui, il souhaite sincèrement détruire le PS et le remplacer par son Parti de gauche. Mais il est plus doué pour la destruction que pour la construction, comme ses nouveaux amis et alliés ont fini par s’en rendre compte.

Henri Weber Directeur des études auprès du premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes