Sept thèses sur les socialistes et le Marché

1. Ceux qui nous invitent avec insistance à adhérer à l'économie de marché en dépit de tout ce que nous faisons et nous disons depuis 15 ans, nous exhortent en réalité à nous rallier aux médecines libérales : réduction des charges sociales, de l'impôt sur les sociétés et le revenu, du droit du travail, des dépenses publiques, du nombre des fonctionnaires, de l'intervention de la puissance publique au niveau national et européen.

2. On peut être pour l'économie de marché et contre le libéralisme économique. Il y a en effet plusieurs types d'économie de marché, plusieurs types de capitalismes, possibles : celui qui existe aux Etats-Unis diffère de celui qu'on rencontre en Suède, et plus largement, en Europe continentale. Celui qui sévit en Russie, diffère de celui qu'on connait au Japon.

3. Il ne faut pas confondre, en effet, économie de marché, capitalisme et libéralisme. Il ne s'agit pas de synonymes désignant une même réalité, mais de réalités différentes, en aucun cas réductibles les unes aux autres :

- l'économie de marché est une forme d'organisation de l'économie fondée sur la liberté de produire et d'échanger des biens et des services. Longtemps sa forme dominante a été ce que Karl Marx appelait " la petite production marchande", où les petits producteurs vendaient leur marchandise contre monnaie sonnante et trébuchante pour acquérir d'autres marchandises dont ils avaient besoin. Comme toutes les libertés, cette liberté de produire, de gérer et d'échanger s'organise et se réglemente. Le contraire de l'économie de marché, c'est l'économie administrée ou monopolisée.

- le capitalisme, c'est cette forme particulière d'économie de marché, dans laquelle les possédants se sont donné pour but le profit maximum et l'accumulation illimitée du capital. Ils ne produisent pas de marchandises pour obtenir de l'argent afin d'acheter d'autres marchandises (M-A-M). Ils investissent leur capital dans la production de marchandises afin de réaliser un profit (A-M-A)
Il existe plusieurs types de capitalisme, Robert Boyer en distingue quatre...Le mouvement ouvrier socialiste a coproduit le sien, au siècle dernier : le modèle scandinave ou le modèle rhénan, visant à mettre les forces du marché au service du progrès social, grâce à l'intervention de l'Etat-providence et des organisations de salariés.

4. Le libéralisme, c'est encore autre chose : la aussi, il faut distinguer, car sous un même thème, les chantres de l'idéologie dominante mettent des contenus différents. Il y a un libéralisme politique, doctrine née au XVIIème siècle et qui s'efforce de répondre à la question : "Comment être gouvernés sans être opprimés ? Comment garantir les individus contre l'arbitraire des gouvernants et des puissants ?". La réponse, c'est l'Etat de droit, la division et la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l'homme et du citoyen, la démocratie.
Les socialistes se tiennent en première ligne dans la lutte pour les droits et les libertés des individus. Sur le plan politique, ils sont des libéraux.
Il y a, en second lieu, le libéralisme culturel, qui s'efforce d'émanciper les individus du joug de la Tradition et de la Religion. Là aussi, les socialistes se tiennent au premier rang.
Il y a aussi le libéralisme économique. S'il s'agissait seulement d'une doctrine défendant les droits et les libertés économiques -liberté d'entreprendre, de gérer, d'échanger; droits de propriété...-, dans le cadre du respect de la loi et des contrats, les socialistes seraient sans doute également libéraux sur le plan économique.

Mais il s'agit en réalité de beaucoup plus que cela. Le libéralisme économique c'est l'idéologie de la "main invisible du marché". Celle-ci postule que si chacun est laissé libre de poursuivre ses intérêts économiques, même les plus égoïstes, il en résultera la meilleure allocation possible des ressources, la croissance la plus forte, le taux d'emploi le plus élevé; en un mot la réalisation au plus près de l'intérêt général.

Les libéraux "économiques" sont convaincus que les marchés sont toujours plus intelligents que les gouvernements, que les chefs d'entreprises sont toujours plus pertinents que les politiques et les syndicalistes; et qu'en conséquence, moins l'Etat intervient dans l'économie, mieux l'économie et la société se portent; que plus il lâche la bride aux patrons et aux financiers, plus la croissance est soutenue.

Le libéralisme économique, c'est cette idéologie qui croit dans les vertus autorégulatrice des marchés, au niveau national comme au niveau international, et qui préconise l'extension des rapports marchands au maximum de secteurs d'activité.

C'est pourquoi les libéraux veulent toujours moins d'impôts, moins de charges, moins de lois, moins d'Etat...Ils ne sont pas partisans d'une économie sans règles, ils sont pour substituer des règles libérales aux règles socialistes conquises par le mouvement ouvrier et démocratique. On les a vus à l'œuvre aux Etats-Unis sous Ronald Reagan, et à nouveau aujourd'hui sous l'administration Bush...En Grande-Bretagne, sous Margaret Thatcher; au FMI et à la Banque mondiale au temps du consensus de Washington, avec le succès que l'on sait.
Cette idéologie est sortie complètement discréditée de la grande Dépression des années 30. Pendant 40 ans, on n'en a plus entendu parler. Mais elle a fait un retour en force à la fin des années 70 et s'est imposée comme idéologie dominante. On a appelé cela " la contre-révolution conservatrice.

Les socialistes français, ne partagent pas cette idéologie et ne pratiquent pas cette politique. Sur le plan économique, ils ne sont pas des libéraux, mais des sociaux-démocrates.
5. Leur conviction a été condensée par Lionel Jospin, en 1998.
" Nous sommes pour une économie de marché, mais contre une société de marché " affirmait-il.

Ce qui veut dire que nous voulons favoriser l'initiative, l'innovation, l'esprit d'entreprise, la création d'entreprise et leur développement, car le socialisme doit se préoccuper de la production des richesses, et pas seulement de leur redistribution. Sans croissance forte de la production, il n'y a pas de redistribution possible.

Mais en même temps, - et c'est en cela que nous sommes contre la société de marché -, nous voulons rénover et développer les services publics, assurer un haut niveau de redistribution sociale, limiter le champ de la marchandisation en France et dans le monde, restituer au pouvoir politique et syndical, en construisant l'Europe, la puissance que la mondialisation leur a fait perdre.

6." Le capitalisme est une force qui va, mais qui ne sait pas où elle va ", nous rappelait encore Lionel. Autrement dit, il peut aussi nous mener dans le mur.

Six crises économiques et financières en 12 ans sont venues étayer ses propos. Longtemps ces crises ont affecté la périphérie du système capitaliste, l'Afrique, l'Asie, l'Amérique Latine, aujourd'hui elles frappent en son centre et jette le discrédit sur un certain capitalisme financier.

Krachs boursiers, spoliant les petits épargnants, comptes d'entreprises truqués par les dirigeants, analystes achetés, explosion des inégalités...

Rarement la nécessité d'imposer de nouvelles règles de fonctionnement à l'économie mondiale, d'édifier un ensemble d'institutions, capables de les faire appliquer, aura revêtu une telle acuité.

7. Les socialistes doivent réaliser, au niveau international, ce qu'ils ont réussi, au XXème siècle, dans le cadre de leurs États-Nations : encadrer, réguler, contrôler le capitalisme, afin d'orienter les forces du marché au service du progrès social, du co-développement avec les pays du Sud et de l'Est dans la préservation de l'environnement. Voilà le contenu concret du Nouvel Internationalisme que les socialistes doivent promouvoir.

Dans ce combat, l'Union européenne doit devenir notre fer de lance et ce qu'on appelle à tort, le mouvement antimondialisation notre allié.

8. Comme chaque fois que nous subissons une défaite, des chœurs s'élèvent de toute part pour chanter l'oraison funèbre de la social-démocratie, cela fait un siècle et demi que ça dure. Cette fois-ci encore nos fossoyeurs trop pressés en seront pour leurs frais. Ce qui fait la pérennité du socialisme démocratique, c'est d'abord, les tares du capitalisme libéral : crises économiques en série, exploitation des travailleurs, aliénation des citoyens.

C'est l'aspiration, ensuite, à une démocratie accomplie, un avenir collectif maîtrisé, une société civilisée.