« Feu sur les ours savants de la social-démocratie ! » publié dans Le Monde

« Lionel, qu'as-tu fait de notre victoire ? » Poser la question, pour un bras droit d'Alain Krivine, c'est y répondre : tu l'as dilapidée, évidemment. Et tes reniements précoces annoncent des capitulations plus retentissantes encore !

La dénonciation des « directions traîtres », « percluses de démissions et de félonies » est en effet une figure imposée du discours trotskiste depuis 1928 au moins. Délaissant, pour peu de temps on l'espère, ses travaux érudits et stimulants sur Marx, Jeanne d'Arc, la raison utopique ou Walter Benjamin, Daniel Bensaïd sacrifie avec jubilation à ce genre éculé.

Lionel Jospin ne fait-il pas exactement, intégralement et immédiatement, comme premier ministre, ce qu'il avait annoncé comme premier secrétaire ? Daniel Bensaïd y voit la preuve de sa duplicité. L'idée que l'art politique consiste aussi, une fois la ligne générale clairement affirmée, à tenir compte des contraintes et des rapports de force qui définissent à tout moment le champ du possible ne semble pas mériter sa considération. En quoi il se montre lecteur oublieux de Léon Trotski, qui écrivait, au temps où il était lui-même numéro deux du jeune gouvernement soviétique, en butte aux surenchères maximalistes de sa propre extrême gauche : « Le voilier doit bien manoeuvrer sous le vent, et nul ne songe à voir des contradictions dans les manoeuvres qui le mènent au but. » (1) Daniel Bensaïd ne voit pas de contradictions mais des capitulations. « La culture de gouvernement dicte sa loi, écrit-il, il faut se plier aux marchés financiers, aux institutions, à la cohabitation,...

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