Congrès du PS: où sont les divergences?

Le lundi 1 juin 2015 18:03

POLITIQUE - Les désaccords qui ont opposé les députés "frondeurs" aux gouvernements Ayrault et Valls se retrouvent au sein du PS dans la confrontation entre la motion majoritaire de Jean-Christophe Cambadélis (60% des voix) et la motion minoritaire de Christian Paul (29% des voix).

 

Ces divergences portent principalement sur trois points :

- La première a trait à la politique économique : les frondeurs condamnent le CICE et le Pacte de responsabilité, qui transfèrent en trois ans 41 milliards d'euros aux entreprises, pour contribuer à reconstituer leurs marges d'exploitation.

Les signataires de la motion Cambadélis approuvent au contraire la politique du gouvernement visant à réindustrialiser la France. Le CICE et le Pacte de responsabilité sont, selon eux, des éléments de cette politique, s'ajoutant à la création de la Banque publique d'investissements (BPI), aux neuf plans pour la Nouvelle France industrielle, à l'extension du Crédit impôt recherche (CIR) aux PME, à la réorientation productive de l'Europe, à la relance de la négociation entre les partenaires sociaux, au soutien à la consommation de 9 millions de ménages par l'abolition de l'IR sur les revenus modestes.

Contrairement aux frondeurs, les signataires de la motion majoritaire reconnaissent que les marges d'exploitation des entreprises françaises sont tombées à un plus bas historique - 28% de la valeur ajoutée en 2012, contre 38% en moyenne dans les pays de la zone euro, et 40% en Allemagne.

Sous la décennie UMP, notre industrie manufacturière a connu un véritable effondrement. Sa part dans le PIB est passée de 18% en 2002 à 12% en 2012, rétrogradant la France à la quinzième place des pays de l'eurozone.

Contribuer à redresser les marges d'exploitation des entreprises, afin de reconstituer leur compétitivité - ce qui est le but du CICE et du Pacte de responsabilité - est donc nécessaire et légitime. Comme est légitime l'exigence des législateurs que les fonds ainsi transférés soient effectivement investis et non distribués en dividendes. Les syndicats s'en préoccupent au niveau des entreprises, le Comité de suivi, mis en place par le Parlement, y veille au niveau national et régional.

- Deuxième divergence : la motion des "frondeurs" méconnaît la menace que représente l'ampleur de notre dette publique ( 2039 milliards d'€, 96% de notre PIB ) dans un monde où les taux d'intérêt peuvent rebondir fortement et le service de la dette grever lourdement notre capacité d'action. Elle condamne la "politique de l'offre" qu'elle attribue au gouvernement et lui oppose une "politique de la demande", fondée sur l'augmentation des salaires, des prestations sociales et des dépenses publiques. Elle préconise de laisser filer les déficits et de s'endetter davantage alors que notre dépense publique a dépassé les 57% de notre PIB - record européen - et que notre dette souveraine s'avance vers les 100% du PIB. La motion majoritaire récuse ce laxisme, comme elle rejette les politiques d'austérité drastiques mises en œuvre chez nos voisins. Elle cherche à concilier sérieux budgétaire et soutien à l'activité économique et y parvient : le déficit budgétaire est passé de 5,1% en 2012 à 4% en 2014 et la croissance dépassera 1,2% en 2015 et 1,6% en 2016.

Dans nos économies ouvertes et en mutation accélérée, la relance par la demande dans notre seul pays profiterait principalement aux exportateurs étrangers et creuserait encore davantage notre déficit commercial ( - 74 mds€ en 2011, - 54 mds€ aujourd'hui).

La relance par la demande doit se faire au niveau européen. En France, il faut avancer sur deux jambes : renforcer notre offre nationale, sans quoi l'augmentation de la demande conforte nos concurrents ; soutenir la consommation populaire, pour contribuer à remplir les carnets de commande de nos PME et ETI.

- La troisième divergence porte sur la politique européenne. Les "gauches du PS" reprochent à François Hollande d'avoir capitulé devant Angela Merkel et José Manuel Barroso, au sommet européen de juin 2012, en ne rejetant pas le "traité budgétaire", ratifié par Nicolas Sarkozy, dès lors qu'il était complété par un engagement de croissance. En rejetant ce Traité et en imposant une renégociation, le nouveau Président français aurait permis, selon elles, d'en finir avec l'Europe austéritaire. Pour la motion majoritaire, c'est ne tenir aucun compte de la conjoncture d'alors et de la réalité des rapports de force. Au printemps 2012, la spéculation internationale contre les dettes souveraines européennes battait son plein, l'implosion de l'euro et de la zone euro était un scénario vraisemblable, auquel se préparaient les banques ; Mario Draghi n'avait pas encore engagé le nouveau cours de la BCE ; la droite conservatrice était au pouvoir à Bruxelles et dans les principaux pays européens. Si le gouvernement français avait engagé une épreuve de force avec ses partenaires, il l'aurait perdue, et aurait aggravé considérablement la crise européenne, à un moment de grande fragilité de l'Union. Plutôt qu'une stratégie de rupture, François Hollande a mis en œuvre une stratégie de mouvement pour réorienter l'UE : en s'alliant avec les Italiens et les Espagnols et en relançant le couple franco-allemand. Cette politique a porté ses fruits. Notre stratégie de sortie différenciée de crise s'est progressivement imposée : les pays excédentaires d'Europe du Nord ont relancé leur consommation populaire, pour servir de locomotive à l'Europe : l'Allemagne s'est dotée d'un SMIC à 8,50 €, les salaires y augmentent de 3 % par an, tandis que le chômage est tombé à 4,7 %. Aujourd'hui, elle rallume les moteurs de l'investissement.

La Commission a assoupli les délais exigés pour le retour des pays surendettés sous la barre des 3 % de déficit. Elle a fait de la relance par l'investissement au niveau continental sa priorité et adopté, à l'instigation du PSE, un programme de 315 milliards d'euros pour financer des projets d'intérêt européen.

La BCE a élargi ses missions et conduit désormais une politique monétaire expansionniste. Les taux d'intérêt sont en conséquence tombés au plus bas dans la quasi totalité des États membres et la parité euro-dollar est redevenue favorable à nos exportations.

Rien de tout cela n'aurait été obtenu par une épreuve de force, à laquelle la zone euro n'aurait sans doute pas survécu. À la différence des gauchistes qui pensent que la volonté peut déplacer les montagnes, les socialistes savent évaluer les rapports de force et mettre en œuvre des politiques qui en tiennent compte et les font favorablement évoluer. Les prochaines étapes sont la mise en œuvre à grande échelle du plan Juncker et son renforcement ; le parachèvement de l'Union bancaire ; l'élaboration d'un traité social européen, l'organisation politique de la zone euro.

Un large accord existe en revanche sur les sujets tranchés lors des "Etats généraux des socialistes" en décembre 2014 : la transition écologique, la démocratie accomplie, la civilisation du bien-vivre, les dix chantiers de l'égalité, la refondation du PS, le rassemblement de la gauche, face à la vague réactionnaire sans précédent qui déferle sur la France.