Socialisme et libéralisme

Le mercredi 11 février 2015 18:18

Dans une tribune publiée par Le Point du 5 février, Pierre-Antoine Delhommais révèle le « vrai tabou des socialistes français : la haine tenace du libéralisme » ». « Depuis vingt ans, la gauche française vomit sur tout ce qui est libéral », écrit-il. Mais de quel libéralisme parle-t-il ? Du libéralisme politique, culturel, économique ? Les trois sont indissociables, disent les idéologues libéraux, le libéralisme est un bloc.

Ce postulat est réfuté par la théorie et démenti par la pratique. Le gouvernement du général Pinochet au Chili était ultra-libéral sur le plan économique, ultra-despotique sur le plan politique, et ultra-rigoriste sur le plan moral. A l’inverse, le gouvernement social-démocrate de Göran Persson en Suède était libéral sur les plans politique et culturel, mais hautement redistributeur et social-démocrate dans la sphère économique.
Le libéralisme politique est une idéologie née au XVIIe siècle, qui répond à la question : « comment être gouverné sans être opprimé ? Sans être soumis au pouvoir arbitraire, capricieux, despotique des puissants ? ». Le libéralisme culturel a déferlé en Occident dans le dernier tiers du XXe siècle, avec la « seconde révolution individualiste » et répond à la question : « Comment conduire ma vie selon mes propres valeurs et mes propres désirs ? ». Le libéralisme économique repose sur l’idée que c’est en permettant à chacun de poursuivre ses intérêts particuliers, même les plus égoïstes, qu’on atteint l’intérêt général. C’est la fameuse main invisible du marché, chère à Adam Smith et ses mystérieux tours de passe-passe.
Les socialistes français ont été et demeurent les champions du libéralisme politique, qui vise à défendre, étendre, approfondir les droits et les libertés des citoyens face à l’Etat, des salariés face aux patronats, des faibles face aux puissants. Ils ont été et restent les champions du libéralisme culturel, qui vise à émanciper les individus du joug de la tradition et de ses interdits. Ils ont beaucoup agi et légiféré en faveur de la libéralisation des mœurs, de l’égalité hommes-femmes, de la dépénalisation de l’homosexualité…
En revanche, et là Pierre-Antoine Delhommais a raison, ils ont combattu le libéralisme économique, tel qu’il est revenu en force d’outre-Manche et d’outre-Atlantique, dans les années 1980 et 1990, sous l’étendard de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Ce néo-libéralisme friedmanien repose sur trois postulats éminemment contestables :
1)    Le libre jeu des forces du marché permet la meilleure allocation des ressources et la croissance optimale de l’économie.
2)    Les marchés ont une capacité autorégulatrice, ils redressent rapidement leurs erreurs quand ils en commettent, contrairement aux bureaucraties publiques.
3)    En conséquence, il faut étendre les rapports marchands – privatisation, concurrence libre et non faussée, quête du profit – au maximum de secteurs d’activité.
C’est pourquoi les néo-libéraux prônent toujours et partout moins de charges, moins d’impôts, moins de lois, moins d’Etat, plus de liberté et de revenus pour les chefs d’entreprise, plus de « flexibilité » et de « modération » pour les salariés.
Les socialistes français sont libéraux sur les plans politique et sociétal. Ils sont sociaux-démocrates sur les plans économique et social. Comme le rappelle leur « Déclaration de principe », ils sont pour une « économie de libre entreprise, régulée par la puissance publique et les partenaires sociaux. Une économie mixte, qui combine un secteur privé marchand dominant, des services publics diversifiés et de qualité, un tiers secteur d’économie sociale ». A l’âge de la mondialisation et de la troisième révolution industrielle – celle du numérique, des énergies renouvelables et des bio et nano-technologies – les systèmes sociaux-démocrates doivent être rénovés, et même refondés, comme l’ont fait les socialistes nordiques et rhénans. Ils ne doivent pas être démantelés au profit d’un alignement sur le capitalisme anglo-saxon excessivement dérégulateur, dur aux faibles et doux aux puissants. C’est à cette tâche de rénovation que s’attellent  les socialistes français, avec leur projet de redressement économique dans la justice, de refondation d’une République sociale et laïque, de relance et de réorientation de l’Europe.

Henri Weber, ancien député européen, directeur des études auprès du Premier secrétaire du Parti socialiste.