«Manuel Valls est-il social-démocrate ou social-libéral ?»

Le mercredi 10 septembre 2014 18:06

Depuis son discours au Medef et le remaniement de son gouvernement, Manuel Valls est qualifié de «social-libéral» ou de «social-démocrate». Henri Weber revient sur le sens de ces deux expressions.
«Manuel Valls est-il social-démocrate, social-libéral, ou démocrate à l'américaine?


Pour répondre à cette lancinante question, il faut d'abord s'entendre sur les mots.
La social-démocratie est cette branche de la famille socialiste qui croit qu'on peut maîtriser et humaniser le capitalisme sans se priver de la créativité des entrepreneurs et du dynamisme de l'économie (sociale) de marché.
Dans une démocratie développée, dit-elle, le pouvoir politique peut influer sur l'économie par la loi, le droit, le budget, la fiscalité, la monnaie, les contrats...
Elle se prononce pour une économie de libre entreprise, régulée par l'État et les partenaires sociaux ; une «économie-mixte», combinant un secteur privé marchand, des services publics puissants, et un tiers secteur d'économie sociale. Elle a pour objectifs historiques l'avènement d'une démocratie accomplie, une économie maîtrisée, une civilisation du bien-vivre. Elle prend acte de la diversité des intérêts au sein de la société salariale, et a pour méthode la recherche de compromis.
Elle s'efforce de promouvoir aujourd'hui un nouveau compromis social-démocrate, en vue de faire face à la mondialisation et à la troisième révolution industrielle: les salariés acceptent de contribuer à la compétitivité des entreprises et de l'économie, françaises et européennes.
Ils attendent en retour des chefs d'entreprise qu'ils innovent, investissent, conquièrent des marchés émergents, pour promouvoir une nouvelle croissance et réconquérir l'emploi. C'est, en France, l'esprit du Pacte de Responsabilité et des réformes qui l'accompagnent.
Le social-libéralisme diffère de la social-démocratie d'abord sur le plan idéologique. Les blairistes ont cru au mythe de la «mondialisation heureuse» et de la «Nouvelle Économie»: un capitalisme en croissance forte et continue, sans crises majeures ni inflation, assurant le plein-emploi et l'augmentation régulière des revenus. Ils ont cru aux dogmes néolibéraux de l'«efficience informationnelle des marchés» et à leur capacité d'auto-régulation ; au mythe de l'harmonie des intérêts.
Ce credo libéral s'est traduit par la poursuite des privatisations (jusqu'au métro de Londres!), le recours massif au «partenariat public-privé» ; la réductions des aides sociales «passives» (allocations diverses) aux victimes de la crise, au profit des «investissements sociaux préventifs» dans l'éducation, la formation, la santé…
Mais si le premier gouvernement Blair (1997-2001) s'est situé dans la continuité des gouvernements conservateurs, et peut être qualifié de «thatchérisme à visage humain», le second (2001-2005) et le troisième (2005-2007) se caractérisent par une forte inflexion keynésienne:
150 milliards d'euros ont été investis dans les services publics ; le budget de la santé a été doublé, celui de l'Éducation nationale augmenté de 40 % ; 600 000 emplois de fonctionnaires ont été créés ; le chômage est descendu à 5 %... C'est la dimension sociale et pragmatique du social-libéralisme.
Voilà sans doute pourquoi Tony Blair a été réélu en 2001 et une troisième fois en 2005, malgré son engagement en Irak.
Le social-libéralisme a pâtit grandement de la crise financière et économique de 2008, qui a porté un coup mortel aux postulats du libéralisme économique. Nul ne peut plus croire sérieusement à la vertu auto-régulatrice des marchés et à l'efficacité de leur «main invisible». L'idée que le monde et l'Europe ont besoin de davantage d'organisation, de régulation, d'intervention multiforme de la puissance publique à tous les niveaux, regagne le terrain qu'elle a perdu dans les années Reagan-Thatcher.
C'est pourquoi le social-libéralisme est passée de mode, même en Grande-Bretagne. L'heure est à la refondation d'une social-démocratie du XXIe siècle, et les socialistes français y prennent leur part.»