Congrès de Poitiers : où sont les divergences ?

Le lundi 30 mars 2015 11:38

Elles portent sur l’analyse de notre situation – le diagnostic, et sur la politique à suivre pour promouvoir une nouvelle croissance, que tous appellent de leurs vœux (à l’exception de la contribution X, sensible aux thèses des « décroissants »).

 

- Il s’agit d’une crise de la demande, affirment certains : les chefs d’entreprise n’investissent pas parce que leurs carnets de commande sont vides, les consommateurs n’ont pas les moyens de consommer, ceux qui en ont encore épargnent et/ou se désendettent. Il faut relancer la demande, en augmentant les salaires, les prestations sociales, la dépense publique, si l’on veut retrouver la croissance et rétablir le cercle vertueux : croissance-emploi-demande-rentrées fiscales et sociales-désendettement-retour à l’équilibre des comptes.
Ceux qui partagent ce diagnostic ne préconisent pas tous les mêmes remèdes. Certains reconnaissent qu’à 95% de notre PIB (2000 milliards d’€) notre dette doit être stabilisée, d’autant qu’elle est détenue à 65% par des fonds étrangers et qu’elle engloutit 50 milliards d’€ par an de notre budget au titre de ses intérêts. Ceux là ne contestent pas la politique de sérieux budgétaire préconisée par François Hollande depuis son élection (60 milliards d ‘économie des dépenses publiques sur le quinquennat) mais en désapprouvent les modalités. La moitié des ressources ainsi épargnées devraient, selon eux, aller au soutien à la demande, l’intégralité ne doit pas revenir à la baisse des charges des entreprises (cf propositions de Martine Aubry et de Jean-Marc Germain…) Avec ceux là une « synthèse » est sans doute possible. D’autant que le contexte européen et mondial a substantiellement changé depuis 2012.
Le nouveau cours de la BCE, sous le magistère de Mario Draghi, a écarté la spéculation des marchés financiers sur les dettes souveraines des Etats européens surendettés, les taux d’intérêt sont historiquement bas, pour la quasi totalité d’entre eux, la menace – très réelle en 2012 – d’une implosion de l’euro et de la zone euro s’est éloignée. Le nouveau président de la Commission européenne accepte l’étalement dans le temps des délais de retour aux critères de Maastricht, en échange de « réformes de structures ».
La politique de création monétaire de la BCE a précipité la baisse de la valeur de l’euro par rapport au dollar (- 20%), la division par deux du prix du baril équivaut à une injection de 20 milliards d’€ par an pour les consommateurs et 10 milliards pour la puissance publique. Les salariés européens – à commencer par les Allemands et les nordiques – réclament et obtiennent désormais leur pleine part des fruits de la croissance retrouvée (+ 3,5% d’augmentation des salaires en Allemagne et généralisation du smic…)
Le gouvernement de Manuel Valls a obtenu un troisième délai de deux ans pour le retour non pas à l’équilibre budgétaire pourtant promis par le candidat Hollande pour 2017, mais à un déficit de 3%. La préoccupation du gouvernement comme de la direction du Parti socialiste est de promouvoir une politique de sérieux budgétaire qui n’entrave pas le retour à la croissance économique et à l’emploi dans notre pays.
Le groupe parlementaire au PE a obtenu de Jean-Claude Juncker un plan européen de relance de la croissance par l’investissement de 315 milliards d’€, pour commencer, et l’engagement de parachever l’union bancaire. Les 2000 projets déposés par les Etats membres sont en cours d’examen par la Commission. La gauche européenne demande un doublement du financement (200 mds € par an, au lieu des 100 retenus).

Un archéo-socialisme dépensophyle et statolâtre
 
Parmi les contributeurs se réclamant de la gauche du PS, d’autres nient qu’il y a un problème d’endettement excessif en France, de coût du travail non-qualifié, d’entraves législatives, juridiques et règlementaires au développement des entreprises. Pour reconquérir une société de plein-emploi, ils proposent un programme digne de la social-démocratie conquérante des « Trente Glorieuses » : augmentation des salaires,  des prestations sociales, des dépenses publiques à tous les niveaux de l’Etat ; renforcement des droits des salariés, fiscalité accrue sur les hauts revenus etc… (cf Filoche)
Tax and spend : cette stratégie « dépensophyle et statolâtre » ne tient aucun compte de l’ouverture de notre économie, qui permet aux investisseurs de s’y localiser ou, au contraire, de partir sous des cieux plus cléments ; de sa mondialisation qui met nos entreprises en concurrence avec des enreprises étrangères, sur notre marché comme sur les leurs ; de son intégration à l’Union européenne qui nous impose de respecter les règles communes, quitte à chercher à les réformer par la méthode des compromis. Attitude d’autant plus incohérente que les signataires de ces contributions se veulent d’ardents Européens, à la différence de l’extrême gauche et de l’extrême droite souverainiste <citation> ; de la nouvelle révolution industrielle – numérique, bio et nanotechnologies, énergies renouvelables – qui nous impose de redéployer les compétences et la force de travail vers de nouvelles activités…


-Le diagnostic porté par la contribution du secrétariat national est différent. Il y a une crise de la demande au niveau européen, affirment ses signataires, et une crise de l’offre au niveau national.
Cinq années d’austérité généralisée, imposée par les droites européennes, ont conduit notre Union au seuil de la déflation. Il faut promouvoir une stratégie différenciée de sortie de crise : les pays excédentaires d’Europe du Nord – et en premier l’Allemagne ! – doivent relancer leur consommation populaire et leurs investissements, publics et privés, pour servir de locomotive à l’Europe. Les pays surendettés – dont la France ! – doivent s’engager sur une trajectoire de retour à l’équilibre de leurs comptes publics, mais en prenant le temps nécessaire pour éviter la récession ou de compromettre les chances d’une reprise. Simultanément l’Union européenne doit provisionner, à bon niveau, un ambitieux programme transcontinental d’investissements pour favoriser une nouvelle croissance.
La transition énergétique et écologique, le développement des industries d’avenir, l’élévation des compétences lui en offrent les terrains.

Mais, si l’Europe a un sérieux problème de demande, la France y ajoute un non moins sérieux problème d’offre. Notre pays a connu depuis 2002 un véritable affaissement industriel. La part de son industrie est tombée de 15% de la valeur ajoutée en 2000 à 11% en 2012, rétrogradant à la 15ème place – sur 18 ! – des pays de la zone euro, loin derrière l’Allemagne (26%), la Suède (21%), l’Italie (18%), et désormais même l’Espagne et la Grande-Bretagne. Cette désindustrialisation accélérée se lit dans les résultats de notre commerce extérieur – 75 milliards de déficit en 2012 – notamment ceux de notre secteur manufacturier  .
Les contributions dites « de gauche » ne nient pas cette inquiétante réalité mais elles se dispensent d’en analyser les causes. A l’exception de celle de Liem Hoang-Ngoc, qui l’attribue à l’incompétence des chefs d’entreprise français. Si les patrons français étaient plus mauvais que leurs homologues étrangers, nous ne serions pas la 5ème puissance économique du monde ! Nous ne compterions pas 13 grandes entreprises parmi les 100 premiers groupes mondiaux, plus que l’Allemagne et toute autre nation européenne ; xxx entreprises parmi les 500 les plus innovantes… Nous ne nous serions pas maintenus pendant deux siècles dans le peloton de tête des pays industrialisés, nous n’aurions pas joué un rôle majeur dans la première et la seconde révolution industrielle. Les explications culturalistes, existentialistes, des contre-performances des entrepreneurs français, aussi vieilles que l’industrie française elle-même, sont fausses et non-opératoires. Si l’effondrement de notre industrie a pour cause l’incurie des chefs d’entreprise français, alors que faire ? Les remplacer par des hauts fonctionnaires nommés par l’Etat comme en 1981 ? Par des directeurs élus par le personnel et révocables à tout moment, comme n’ose même plus le proposer Olivier Besancenot ?

Pourquoi la désindustrialisation accélérée ?

La contribution du SN propose une analyse plus élaborée de cette peu glorieuse spécificité française, en même temps qu’elle assigne à la gauche de notre pays l’impératif catégorique de réindustrialiser la France et l’Europe – car sans base industrielle solide, nous ne pouvons pas durablement financer notre modèle social, reconquérir le plein emploi, réussir la transition écologique, retrouver notre pleine souveraineté face aux marchés financiers.
L’affaissement de l’industrie française a des causes multiples qu’il faut traiter chacune pour elle-même.
-    La médiocre spécialisation de notre économie (sectorielle et géographique)
-    L’insuffisance de la recherche
-    La carence de notre système d’éducation et de formation professionnelle
-    La piètre qualité des relations entre partenaires sociaux
-    Les rapports conflictuels entre les grands groupes donneurs d’ordre et les entreprises sous-traitantes, entre PME et établissements financiers
-    La surévaluation de l’euro depuis 2005, jusqu’en 2015.
-    L’insuffisante réciprocité commerciale entre l’Union européenne et les autres économies du globe.
A ces raisons s’ajoutent la chute du taux de marge d’exploitation des entreprises à un plus bas historique – 28% en 2012, 29% aujourd’hui, 20% pour les PME et ETI, selon l’Insee – alors qu’il dépasse les 40% en Allemagne. S’ajoute aussi un ensemble d’obstacles juridiques, législatifs et règlementaires à une meilleure allocation des ressources en travail et en capital, alors que la troisième révolution industrielle bat son plein. En conséquence, face à une concurrence internationale acharnée, nombre d’entreprises françaises, moyennes et petites, ont choisi de réduire leurs prix pour conserver leurs parts de marché plutôt que d’innover et d’investir. Ce sont les grandes entreprises cotées, tributaires des grands investisseurs internationaux (fonds de pension, fonds communs de placement…) qui distribuent de plantureux dividendes, octroient des bonus mirobolants à leurs managers, rachètent leurs actions pour en faire monter le cours, non la grande masse des ETI et des PMI-PME.

La compétitivité est un tout : pour la reconquérir, les gouvernements de gauche ont joué sur tous les clavier et doivent continuer à le faire, sans en omettre un seul :
-    Pour améliorer la spécialisation de notre économie, nous avons créé la Banque publique d’investissement, conçu 34 plans de reconquête industrielle, engagé un programme d’investissements d’avenir de 12 milliards d’€, élargi le crédit d’impôt recherche (CIR) aux dépenses d’innovation des PME, placé l’investissement au cœur de la doctrine de l’Etat actionnaire pour qu’il soit pleinement stratège, exigé – et finalement obtenu ! – que les autorités européennes mènent une politique active des changes en vue de baisser le cours de l’euro, et qu’elles mettent en œuvre un grand programme européen d’investissements. Nous nous sommes efforcés de promouvoir les négociations entre partenaires sociaux ; deux importantes réformes, sur les retraites et la sécurisation des parcours professionnels – ont résulté de telles négociations sociales, même si une troisième négociation, portant sur la réforme du marché du travail, a finalement débouché sur un constat de désaccord qui a renvoyé l’initiative à l’Etat.
-    Notre loi de refondation scolaire, votée en 2013, s’efforce de donner une nouvelle efficacité à notre système éducatif.
-    Nous avons mis en œuvre une politique de sérieux budgétaire, annoncée dès sa campagne par François Hollande, qui diffère radicalement des politiques d’austérité pratiquées dans les autres pays européens. Nous n’avons pas licencié 500 000 fonctionnaires, comme en Grande-Bretagne, réduit les salaires, les retraites, les prestations sociales de 10 à 20%, comme en Italie, en Espagne, au Portugal – pour ne rien dire de la Grèce !, réduit de 32 à 12 mois la durée des allocations chômage, comme l’a fait le gouvernement Schröder en Allemagne. Nous avons, il est vrai,  augmenté les impôts, à hauteur de 40 milliards d’€, et les électeurs nous en ont tenu rigieur. Mais cet effort fiscal supplémentaire a été engagé avec le souci d’une juste répartition : 75% de l’augmentation de l’impôt sur le revenu a pesé sur les 25% des ménages les plus aisés. Dès 2014, 4,2 millions de foyers modestes ne paieront plus l’IR. La suppression de la première tranche portera ce nombre à 9 millions en 2015.
-    Conjointement avec les Etats de l’Union européenne et l’administration Obama, nous avons engagé la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux. Trente mille contrevenants sont venus régulariser leur situation, pour 2 milliards de rentrées fiscales supplémentaires en 2014, et sans doute davantage pour les années à venir.
-    Nous avons réduit de 41 milliards (d’ici à 2017) les charges pesant sur les entreprises en transférant les allocations familiales et d’autres cotisations sociales sur le budget de l’Etat. C’est le but du crédit d’impôts compétitivité-emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité, d’activité et de croissance. Les cotisations sociales, salariés et employeurs, assises sur le travail, sont trop lourdes en France, par rapport aux autres pays européens. Ce mode de financement de notre système de protection sociale est défavorable à l’emploi et à l’investissement des entreprises. Les 41 milliards de réduction du coût du travail doivent aller à l’investissement.  Le rapport de l’Insee pour 2014 montre que les 9 mds du CICE alloués cette année sont allés aux augmentations de salaire (+1,4%), le taux de marge des entreprises restant à un niveau historiquement bas (29%, contre plus de 40% en Allemagne). Il appartient aux comités national et régional prévus par la loi, où siègent les partenaires sociaux, de veiller à ce que les contrats de branche soient tous signés (11 le sont aujourd’hui, concernant 9 millions de salariés). Et de vérifier, conjointement avec les syndicats, que les interventions publiques servent effectivement à renforcer la compétitivité des entreprises plutôt qu’à gratifier les actionnaires.
Pour réamorcer la pompe de l’investissement et de la croissance, nous disent le Front de gauche et les « frondeurs », il faut relancer la demande en augmentant les salaires, les prestations sociales, la dépense publique et les droits des salariés. Mais en économie ouverte et d’innovation, cette augmentation de la demande nationale risque fort de profiter d’abord aux exportateurs étrangers et creuser encore davantage le déficit de notre balance commerciale. C’est l’expérience que nous avons faite en 1981-1982 en relançant, seuls, à rebours des Etats-Unis et de l’Europe.
« J’augmente sensiblement le pouvoir d’achat de mes ouvriers, disait Henry Ford, pour qu’ils puissent m’acheter mes voitures ». Le problème aujourd’hui, c’est qu’ils peuvent aussi acheter des voitures allemandes, japonaises, coréennes, et qu’ils ne s’en privent pas.
L’économie française souffre d’une crise de l’offre et de la demande. Contrairement à l’économie allemande, ou à celle des pays scandinaves et rhénans, elle est incapable de répondre à la demande internationale en bien manufacturiers. Sa part dans le commerce mondial est passé de 6% en xy à 3% en vw. Ses importations ont augmenté de x% : preuve qu’une demande française existe, mais qu’elle est satisfaite par des entreprises étrangères, faute d’offre adaptée et compétente des entreprises françaises.
La crise de la demande est indéniable également. D’après l’OFCE (Eric Heyer), seulement 25% de l’augmentation de la demande globale sont adressés au marché mondial, 75% le sont au marché domestique. Cette faiblesse de la demande nationale se lit, par exemple, dans la chute des mises en chantier des logements (280 000, au lieu des 500 000 prévus, en 2014).
Le gouvernement a donc raison d’agir sur les deux tableaux : soutenir la demande, notamment celle des ménages les moins favorisés, au moyen de sa politique sociale et fiscale, stimuler l’offre par sa politique économique, en France et en Europe.