Le PS est-il mort ? Comment lui-même et la social-démocratie peuvent-elles renaître ? Publié dans Marianne

Le Parti socialiste n’est pas mort, mais son pronostic vital est engagé. Il connaît ce que les politologues appellent une « crise d’effondrement », pour la distinguer des crises politiques ordinaires, et ce que les militants appellent une « crise de refondation », pour signifier que son dépassement exige une rénovation totale de la « Vieille maison » socialiste, de la cave au grenier : rénovation des idées, du programme, de l’organisation, des pratiques militantes, des alliances…

 

Cette crise de refondation n’est pas la première, mais la quatrième, que le socialisme français ait connue dans sa longue et tumultueuse histoire. Je les passe en revue dans mon dernier livre, « Eloge du compromis » [1]. J’ai personnellement vécu la troisième, celle de 1969, lorsque le « ticket socialiste » à l’élection présidentielle - Defferre-Mendès, excusez du peu ! - a recueilli 5% des voix, précipitant la fin du cycle de la SFIO d’après-guerre. Il ne fallait pas demander alors « pour qui sonne le glas ? ». La troisième refondation a été engagée en 1971, au Congrès d’Epinay, et dix ans plus tard, François Mitterrand entrait à l’Elysée et une majorité absolue de députés socialistes envahissait l’Assemblée nationale.

Une quatrième refondation est-elle possible ou bien cette fois-ci, le PS-canal-historique est-il condamné à devenir un petit parti résiduel, comme le sont devenus avant lui le Parti radical et le Parti communiste ?

Ma conviction est que cette nouvelle refondation peut réussir. Ce qui caractérise le mouvement socialiste européen, en effet, et qui le distingue du mouvement communiste, c’est son extraordinaire résilience, sa capacité à se remettre en cause et à s’adapter aux nouvelles conditions historiques de son action. Là est le secret de sa longévité. Voyez le parti travailliste – réputé agonisant il y a seulement deux ans, et recueillant aujourd’hui 40% des suffrages aux élections législatives ! Voyez le SPD allemand. Voyez aussi les spectaculaires « remontadas » de nombreux candidats socialistes entre les deux tours des élections législatives.

Dans nos pays capitalistes avancés, secoués par la mondialisation libérale, la marchandisation généralisée, l’urgence écologique, les tribulations de la finance folle ; les valeurs et les objectifs du socialisme démocratique sont plus actuels que jamais. Le besoin d’une gauche de gouvernement, ambitieuse mais responsable, reste impérieux.

On aimerait rêver que La République en Marche saura tenir ce rôle, comme l’espèrent tant des socialistes ralliés. Mais il ne faut pas rêver ! Le projet d’Emmanuel Macron n’est pas de régénérer la gauche mais d’instituer un grand parti centriste hégémonique, autonome par rapport à la droite comme par rapport à la gauche traditionnelles, affaiblies et fragmentées par ses soins. Il a confié Matignon et Bercy à des libéraux – au sens économique du terme – de longue date, et qui arborent crânement leurs convictions. Les contradictions de LREM sur les politiques économique, sociale, migratoire, sécuritaire, ne tarderont pas à se manifester et, sans doute, à s’exacerber. La direction « jupitérienne » de l’Etat, du gouvernement et du parti, s’usera à les surmonter. Les exploits électoraux d’Emmanuel Macron n’ont pas aboli les difficultés objectives, sur lesquels son prédécesseur s’est fracassé. Le nouveau Président va les affronter avec un attelage hétéroclite, qui pourra se défaire aussi vite qu’il s’est constitué, si la chance insolente de leur chef de file vient à tourner. Déjà François Bayrou a signifié qu’il garderait son quant-à-soi et sa liberté de parole… L’opposition de LR, soutenue par l’aile « marion-maréchaliste » du FN, peut, en réaction, déplacer le centre de gravité de LREM vers la gauche. Surtout si l’opposition « constructive et vigilante » du PS y contribue… Mais c’est précisément pourquoi la reconstruction d’un nouveau parti socialiste, en alliance avec les syndicats réformistes et les grandes associations démocratiques, est nécessaire.

Cette quatrième refondation sera plus difficile à mener à bien que la précédente, sa réussite n’est nullement assurée. Le contexte idéologique, économique, politique est aujourd’hui beaucoup moins favorable à la renaissance d’un grand parti réformiste moderne que dans les années 1970, marquées par la poussée altruiste, libertaire, égalitaire, utopique de Mai 68.

Son succès éventuel passe par quatre conditions : dans le champ des idées, les socialistes doivent élaborer un nouveau compromis social-démocrate, adapté à la mondialisation et à la troisième révolution industrielle, celle de la convergence des BNIC [2] . L’enjeu de ce compromis du XXIème siècle est le succès du passage à l’économie de l’innovation et de l’excellence, de la transition écologique, d’une nouvelle articulation entre démocratie représentative, démocratie sociale et démocratie participative. Il a pour terme davantage de liberté d’entreprendre et de gérer reconnue aux chefs d’entreprise, contre davantage de formation, d’indemnisation et de réinsertion assurée aux salariés. La sécurisation des parcours professionnels et l’éradication du chômage sont ses objectifs principaux. Les social-démocraties nordiques et rhénanes sont ses laboratoires et ses champs d’application.

En second lieu, l’opposition au gouvernement d’Edouard Philippe doit être constructive, et non pavlovienne. Les députés socialistes ne doivent pas voter la confiance au gouvernement mais ils doivent chercher à infléchir sa politique dans le sens de la défense des intérêts des salariés et des aspirations des démocrates. Pas de « flexisécurité » sans sécurité ; pas de renforcement de l’arsenal répressif contre le terrorisme sans contrôle judiciaire ; pas de réforme structurelle du droit du travail sans négociation avec les syndicats.

La reconstruction se fera simultanément à la base, dans la bataille pour la reconquête des collectivités territoriales, qui sera l’œuvre de la nouvelle génération. Elle débouchera sur une première résurrection des socialistes aux élections municipales de 2020. La majorité macronienne aura alors subi l’usure du pouvoir. Elle aura vérifié à ses dépens la dure loi de la démocratie médiatique : « lécher, lâcher, lyncher ».

Face au « parti entreprise » créé par Emmanuel Macron et dirigé par lui en « patron de droit divin », la gauche de gouvernement doit inventer, enfin, le parti militant de masse du nouvel âge de la démocratie : rompu aux méthodes de communication, d’action, d’organisation que permet internet ; respectant l’éthique démocratique en son sein ; organisant une large délibération entre ses adhérents et y associant ses sympathisants et ses électeurs.

La crise de la social-démocratie n’est pas franco-française mais européenne, et même occidentale. Elle affecte à des degrés divers tous les partis de gouvernement, et LR ne fait pas exception. Seuls ont le vent en poupe les partis populistes d’extrême-droite et, dans une moindre mesure, d’extrême-gauche, vierges de tout bilan. Elle est la manifestation partisane de la crise de la démocratie occidentale.

La refondation de la gauche doit être pensée et conduite à l’échelle européenne. Chaque parti socialiste en débat et s’y emploie. De la conjonction de leurs efforts renaîtra la social-démocratie européenne, qui sera une social-écologie. Je le crois et je l’espère, comme disait Léon Blum, Je le crois parce que je l’espère.

Henri Weber, directeur des études européennes du PS

 

[1] « Eloge du compromis », Plon, 2016

[2] Biotechnologies, nanotechnologies, informatique, intelligence artificielle