987343 prodlibeL’affrontement entre Benoît Hamon et Manuel Valls incarne le choc du principe de plaisir et du principe de réalité en politique. Le premier consiste à proposer des mesures censées satisfaire les besoins humains légitimes, sans trop se soucier de leur financement ni de leurs conséquences. Le second tient le plus grand compte au contraire des contraintes et des rapports de forces existants, (parfois trop), pour «aller à l’idéal en comprenant le réel» (Jaurès).

Que le programme défendu par Benoît Hamon relève essentiellement du principe de plaisir n’est pas douteux. Il énonce toutes les mesures agréables à une oreille de gauche, sans exception : le revenu universel à 750 euros par mois, sans condition de ressources ; la semaine de 32 heures, l’annulation de la dette accumulée depuis 2008, la taxation des robots, 50% d’énergies renouvelables dès 2025, la hausse des budgets de l’Education nationale, de la culture, de l’écologie ; les «visas humanitaires pour ceux qui ont décidé de venir en Europe», le «49.3 citoyen», la sortie «de la culture de la détention carcérale». Rien ne manque, tous les marqueurs de gauche sont cochés, même – et on s’en réjouit – la lutte «contre la maltraitance des animaux» ! Chacun de ces engagements coûte cher, à commencer par le premier, évalué par son auteur lui-même à 300 milliards d’euros par an, en vitesse de croisière. L’addition de tous atteint des sommets himalayens.

Comment allons nous financer tout cela, alors que notre dette publique dépasse les 2 200 milliards d’euros, que notre dépense publique atteint 57% du PIB (record mondial des pays avancés), que nos dépenses sociales (indemnisation du chômage, santé, minima sociaux) vont continuer à augmenter ? «Nous avons bien réussi à financer la Sécurité sociale, en 1945» rétorque l’ami Benoît. C’est oublier, entre autres choses, que nous bénéficiions alors d’une croissance de 5% par an, pendant trente ans, en économie fermée. Nous sommes aujourd’hui en économie d’innovation, prise en étau entre les Etats-Unis, le Japon, qui poursuivent leur course en tête dans la nouvelle révolution technologique, et les pays émergents à bas coût de main-d’œuvre, qui montent rapidement en gamme.

Manuel Valls a raison d’affirmer que le programme de Benoît Hamon est «irréalisable et infinançable». Le sien, au demeurant, ne manque pas d’ambition : il propose un «revenu décent» de 800 euros mensuels, à partir de 18 ans, mais sous conditions de ressources, ce qui est à la fois plus juste et plus réaliste. Le soutien à la compétitivité de nos entreprises dans la mondialisation, la relance de l’Union européenne, par le triplement du Plan Juncker d’investissements, la sécurisation des frontières extérieures de l’UE, la mise en œuvre d’une politique de défense et d’armement commune, à 27 si possible, à moins si nécessaire ; la réactivation du dialogue social, à tous les niveaux, et en particulier, dans les entreprises ; la défense de la laïcité, l’institution d’un islam de France…

Vertu du débat démocratique, Benoît Hamon a commencé à rétropédaler : son revenu universel serait étalé dans le temps, il s’appliquerait d’abord aux 18-25 ans, puis viendrait une «conférence nationale», qui déciderait de son extension éventuelle. Bref, il a cessé d’être universel, pour ressembler furieusement au «revenu décent sous conditions de ressource», défendu par Manuel Valls. Preuve que les points de vue peuvent être rapprochés, les fractures réduites.

Henri Weber Directeur des études auprès du premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes