Le mercredi 10 septembre 2014 15:01

Manuel Valls partage avec Tony Blair la conviction qu’en période de mondialisation accélérée et de révolution technologique permanente, les entrepreneurs constituent un acteur social précieux, dont on aurait grand tort de se priver.

En conséquence, comme Tony Blair, il entend nouer une alliance des «forces vives» - entre chefs d’entreprise et salariés - pour retrouver et développer la puissance économique de la France et de l’Europe dans la globalisation. En cela, il partage l’orientation de toute la social-démocratie moderne, qui s’efforce de promouvoir le nouveau compromis social-démocrate du XXIe siècle, celui de l’adaptation progressiste à la mondialisation et à la troisième révolution industrielle.

Les salariés contribuent à la compétitivité des entreprises ; ils exigent, en retour, que celles-ci innovent, investissent, conquièrent de nouveaux marchés, afin de promouvoir une nouvelle croissance et reconquérir l’emploi.

Comme Tony Blair, Manuel Valls est hostile à l’archéo-socialisme «dépensophile et statolâtre», et partisan d’une alliance saint-simonienne des entreprenants. Mais trois différences majeures existent, qui interdisent de pousser la similitude plus loin.

1) Sur le plan idéologique, Manuel Valls n’est pas néolibéral mais social-démocrate. Ses mentors furent Michel Rocard et Lionel Jospin. Il pense, comme ce dernier, que le «capitalisme est une force qui va, mais qui ne sait pas où elle va» et qu’elle peut aussi aller dans le mur si elle n’est pas régulée par l’action de la puissance publique et des partenaires sociaux. Comme Michel Rocard, il sait que «le marché est un bon serviteur mais un mauvais maître» et donc qu’il faut recréer les conditions de sa subordination à la démocratie.

Contrairement à Tony Blair, il n’a pas cru au mythe de la «mondialisation heureuse» et encore moins à celui de la «Nouvelle Economie», en vogue au tournant du siècle : ce néocapitalisme qui aurait surmonté ses contradictions et qui assurerait, désormais, une croissance forte et continue, sans crises majeures, sans inflation et sans aggravation des antagonismes sociaux.

Cette conception apologétique a inspiré les politiques de déréglementation, privatisation des services publics, fiscalité favorable aux grandes fortunes…

2) Deuxième différence majeure : contrairement à Tony Blair et aux néotravaillistes, Manuel Valls est profondément européen. Il sait que si beaucoup peut et doit être fait au niveau local, régional, national, le niveau continental est de plus en plus déterminant pour sortir de la crise et promouvoir la nouvelle croissance sans laquelle rien n’est possible en Europe : ni le désendettement, ni le recul du chômage, ni le redéploiement de nos économies vers les industries de l’avenir, ni la «transition écologique».

D’où l’engagement des socialistes français pour relancer et réorienter l’Union européenne, qui recueille, aujourd’hui, ses premiers résultats.

Tony Blair était sans doute le moins europhobe des travaillistes, mais il a pratiqué, comme ses prédécesseurs et ses successeurs, une politique souverainiste de «passager clandestin», exigeant ses chèques britanniques et ses dérogations (opt out) aux règles communautaires.

3) La troisième divergence a trait à la réforme de l’Etat-providence. Les socialistes français refusent d’opposer un Etat-providence à l’ancienne, prodiguant des «aides sociales passives» aux victimes de la crise, à un Etat-providence moderne, privilégiant les investissements sociaux dans l’éducation, la formation permanente, la santé.

Dans nos sociétés vieillissantes et soumises à des changements accélérés, l’aide sociale et les investissements sociaux sont également nécessaires.

Les socialistes français sont pour la défense de services publics diversifiés et de qualité, et pour un assouplissement du marché du travail consenti, une «flexisécurité» résultant d’accords mutuellement avantageux, et non unilatéralement imposés. Ils continuent de penser que l’extension du temps libre constitue un progrès de la civilisation.

Le social-libéralisme a pâti grandement de la crise financière et économique de 2008-2012, qui a porté un coup mortel aux postulats du libéralisme économique.

Nul ne peut plus croire sérieusement à la vertu autorégulatrice des marchés et à leur «efficience informationnelle». L’idée que le monde a besoin de davantage d’organisation, de régulation, d’interventions multiformes de la puissance publique à tous les niveaux, regagne le terrain qu’elle a perdu dans les années Reagan-Thatcher. C’est pourquoi le social-libéralisme est une option en déclin, ré-évaluée même au Parti travailliste. L’heure est à la refondation d’une social-démocratie du XXIe siècle, et les socialistes français y prennent toute leur part.

Henri Weber Directeur des études auprès du premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes