Pour une flexisécurité à la française

Ce qui rend la gauche inaudible, c’est d’abord et avant tout son échec sur le front de l’emploi. Nul ne peut s’exonérer de répondre à la question : pourquoi avons nous un taux de chômage de 10,3 % de la population active, alors qu’il est de 4,4 % en Allemagne, de 6,2 % en Suède, de 5,3 % en Grande-Bretagne ?
Pourquoi 90 % des nouvelles embauches se font elles en contrat à durée déterminée (CDD), pourtant surtaxés de 10% par rapport aux CDI, et que ces CDD sont de plus en plus courts ? Pourquoi le chômage frappe t’il les catégories les plus fragiles : les peu qualifiés - 80 % des chômeurs sont au niveau du bac, ou en dessous -, les jeunes, les séniors, les femmes, les immigré ? Pourquoi ne parvenons nous pas à réduire notre taux de chômage en dessous de 7 % depuis 30 ans ? Et encore, pour de brèves périodes (1985, 1997, 2007…). Il y avait déjà 10,3 % de chômeurs en France en 1993, et 8,3 % en 2002, à la fin du quinquennat de Lionel Jospin, malgré quatre années de croissance économique exceptionnelle. Il y a à cela un faisceau de raisons, souvent invoquées : Le médiocre positionnement, en milieu de gamme, de nombreux biens et services que nous offrons sur le marché mondial ; les carences de notre système de formation, initiale et pour adultes ; celles de nos institutions d’accompagnement individualisé des chômeurs et de leur réinsertion dans l’emploi ; la faiblesse, la fragmentation, la politisation de nos partenaires sociaux ; la culture de la défiance et de l’affrontement qui habite certains d’entre eux et non des moindre ! Le dynamisme aussi de notre démographie, qui nous contraint de créer chaque année 150 000 emplois supplémentaires, simplement pour maintenir inchangé notre niveau de chômage.
La rigidité de notre droit du travail, avec ses seuils sociaux nombreux et contraignants, sa justice prudhommale lente et incertaine, joue aussi un rôle, mais ni le premier, ni même parmi les plus importants. Il n’empêche qu’elle doit être traitée au même titre que les autres causes structurelles du chômage français et non pas être niée, au nom de l’IAA (Irréversibilité des Avantages Acquis).
Lutter contre le chômage français, c’est améliorer la spécialisation, sectorielle et géographique, de notre économie ; accroître la qualité des biens et des services qu’elle produit ; réformer notre éducation initiale et permanente ; renforcer les moyens humains et financiers de Pôle emploi ; développer la négociation contractuelle entre syndicats et patronats, à tous les niveaux. C’est aussi moderniser notre droit du travail, en nous inspirant non pas du libéralisme économique anglo saxon et de son culte de l’hyper flexibilité, mais des expériences des social-démocraties nordiques. De leurs réponses progressistes à la mondialisation et à la nouvelle révolution industrielle, nous retenons trois objectifs et une méthode. Les objectifs sont l’économie de l’excellence, la flexisécurité, la sécurisation des parcours professionnels. La méthode, c’est le recours à la démocratie sociale.
L’économie de l’excellence table sur la montée en qualité des biens et des services que nous produisons, pour nous maintenir dans le peloton de tête des économies les plus avancées. Nous y parvenons depuis deux siècles, il n’y a aucune raison que nous y échouions désormais.
La flexisécurité combine, à la scandinave, assouplissement des règles d’embauche et de licenciement, indemnisation généreuse et prolongée des chômeurs, renforcement des institutions de requalification et de réinsertion de ceux-ci dans l’emploi. Au Danemark, l’indemnisation du chômage est garantie pour quatre ans, à 90 % du revenu d’activité pour les bas salaires, 70 % pour ceux qui se situent au-dessus du salaire médian. En contrepartie, le demandeur d’emploi est tenu de suivre une formation qualifiante et à accepter les emplois qui lui sont proposés. Rares sont les chômeurs qui épuisent les quatre années d’indemnités auxquelles ils ont droits !
La sécurisation des parcours professionnels, dont notre Compte Personnel d’Activité (CPA) se veut l’embryon, vise à individualiser les droits sociaux et à les attacher à la personne, et non plus à l’entreprise, de façon à les rendre transférables et fongibles lorsque le salarié quitte son emploi. Tel qu’il figure dans la loi El Khomri, le CPA limite aujourd’hui ces droits sociaux individualisés à trois – le compte personnel formation, le compte pénibilité, le compte épargne temps – mais d’autres sont appelés à s’y agréger à commencer par les droits rechargeables à l’assurance chômage. Le salarié se verra ainsi à la tête d’un capital de droits sociaux personnels, qu’il pourra mobiliser pour mener à bien sa transition entre deux emplois. Il s’agit de dédramatiser, banaliser, écourter les épisodes de chômage. Si elle est menée à son terme, cette sécurisation des parcours professionnels sera une conquête sociale de la même ampleur que le fut l’institution de la sécurité sociale en 1945. Le CPA en est le premier pas.

Henri Weber, directeur des études auprès du Premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes.