Leçons des élections européennes

Comme on pouvait s'y attendre les Européennes ont été une "réplique", en pire, du séisme des municipales.

C'est une loi de la politique : le corps électoral ne se déjuge jamais à quelques semaines d'intervalle. Il a durement sanctionnés les socialistes en mars, il n'allait pas les plébisciter en mai, malgré l'arrivée d'un nouveau Premier Ministre populaire. Les sondages ont d'ailleurs donné de longue date le tiercé dans l'ordre, même s'ils avaient sous-estimé l'ampleur de la déroute du PS.

Nous n'avons pas réussi à européaniser la bataille électorale du 25 mai. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. "Ne vous trompez pas de colère, avons-nous répété à nos électeurs. L'enjeu de cette élection est de réorienter l'Europe afin de mettre en œuvre une nouvelle croissance, et pour cela d'envoyer une majorité de députés socialistes à Bruxelles et Martin Schulz à la présidence de la Commission".

Ce discours n'a pas convaincu. Parce que la défiance accumulée vis-à-vis de l'Europe libérale était trop forte, et a rejailli sur le projet européen lui-même. Parce que, aussi et surtout, la volonté de sanctionner le pouvoir socialiste l'a emporté sur toute autre considération. Les élections municipales et européennes ont formé une seule et même séquence.

Après cinq années de Sarkozysme, la candidature de François Hollande avait suscité beaucoup d'espoir, au printemps 2012. Cet espoir a été déçu. Faute de résultats : La France compte 450 000 chômeurs supplémentaires depuis deux ans, le pouvoir d'achat des classes populaires et moyennes a stagné ou régressé. L'équipe au pouvoir a longtemps donné une impression d'amateurisme, prêtant le flanc au "socialo-bashing" incessant des médias. 63% de ceux qui ont voté Le Pen, déclarent l'avoir fait pour sanctionner Hollande. 58% des électeurs de François Hollande en 2012 qui se sont abstenus l'ont fait pour manifester leur mécontentement.

Pourquoi cette volonté de sanction s'est-elle portée sur l'abstention et sur le vote FN, plutôt que sur l'UMP ou les diverses figures de la gauche de la gauche (Front de gauche, Verts, extrêmes gauches) ?

Parce que les réponses que ces partis apportent à la crise ne sont pas crédibles et que l'UMP est disqualifiée par ses divisions et "ses multiples affaires".

Marine Le Pen, pour sa part, a réussi son opération de dédiabolisation du FN.

Elle a mis une sourdine à l'antisémitisme constitutif du FN - "celui qu'il porte dans son ADN" comme l'a dit Nigel Farage, le leader du UKIP- au profit de l'islamophobie et de l'arabophobie.

Elle a troqué le racisme à base biologique de l'extrême droite traditionnelle pour une xénophobie à fondement culturel, à la façon de Geert Wilders, au Pays-Bas. L'immigré ne doit plus être confiné ou renvoyé dans sa brousse parce qu'il est un être inférieur et pernicieux qui menace la pureté de la race. Il doit l'être parce qu'il vole le travail des nationaux, pille leur sécurité sociale et prétend leur imposer ses valeurs et ses modes de vie rétrogrades, quand ce n'est pas la Charia.

Astuce de la "triangulation" : c'est désormais au nom de la défense des principales conquêtes de la gauche - la laïcité, l'Etat-providence, la liberté des mœurs... - que le FN préconise ses politiques d'exclusion.

En réalité son fond de commerce est toujours le même : nationalisme xénophobe, protectionnisme de repli, autoritarisme...

Le FN n'a aucune solution crédible aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, mais un bouc émissaire pour chacun : les musulmans, les arabes, les immigrés, l'UE, les élites, "l'establishment", les intellectuels cosmopolites et décomposés. Mais la xénophobie à justification culturelle permet de se draper dans les valeurs de la République. Le social-chauvinisme - la défense de l'Etat-providence réservé aux seuls nationaux - permet de se présenter comme les défenseurs des ouvriers "français de souche". La rupture avec l'Europe permet de se camper en champions de l'Identité Nationale. Et voilà pourquoi le tabou est tombé. D'autant qu'il n'a pas manqué de bons apôtres à droite, pour vanter la métempsychose du FN en parti nationaliste désormais fréquentable.

Lutter contre le FN ne peut plus se limiter principalement à le "démasquer", - montrer les permanences, les continuités profondes entre le parti du père et celui de la fille. Cette dénonciation a sa part de vérité, mais elle n'est plus convaincante, tant les nouveaux cadres du FN- les Philippot, Aliot, Marine Le Pen elle-même - s'emploient à la déjouer.

Lutter contre le FN c'est réfuter systématiquement ses propositions, son programme politique et la conception du monde qui les sous-tend. Montrer que la mise en œuvre, même partielle, de ce programme - le retour au Franc, la sortie de l'Union Européenne, l'immigration zéro, l'Etat social d'Apartheid... précipiterait notre pays dans un chaos sans nom.

C'est surtout opposer aux vrais problèmes auxquels le FN apporte de fausses réponses - l'Euro trop cher, le libre échange généralisé, le dumping social, l'immigration non maîtrisée...- de vraies solutions : une nouvelle croissance, nourrie par l'essor des politiques communes (Europe de l'énergie, de l'Internet à haut débit, des transports propres, des industries du futur, de la défense, de l'agriculture multifonctionnelle...) ; Une politique active des changes conduite par la Banque Centrale soucieuse de croissance et d'emploi, autant que de stabilité monétaire et financière. Le juste échange, fondé sur les principes de réciprocité, d'équilibre et de respect des normes internationales. Un Traité social européen assurant l'harmonisation vers le haut de la condition salariale et non son nivellement par le bas. La maîtrise des flux migratoires, organisée au niveau continental, et l'effort porté sur l'intégration des immigrés.

Nous ne ferons pas l'économie de cette bataille politique, qui sera longue et difficile, tant la désinformation et la démagogie sont les armes de nos adversaires.

Tant aussi, il est vrai, que cette bataille ne se gagne pas dans le discours, mais dans la capacité à changer la réalité : d'obtenir des résultats.