La montée des populismes en Europe: comment y faire face?

Les périodes de crises économiques ne sont pas propices à l'essor de l'altruisme et de la générosité. Elles nourrissent, au contraire, chez celles et ceux qui en sont victimes, angoisse, colère et ressentiment.

Les partis populistes donnent une expression politique, illusoire et mystificatrice, à cette colère. Ils présentent une explication simpliste aux difficultés dans lesquelles se débattent les victimes de la crise; leur désignent des responsables à leurs malheurs; leur proposent des solutions simples et mobilisatrices pour remédier à leur situation.

Les idéologies populistes sont diverses, mais elles présentent toujours une même structure.

La politique est conçue comme une lutte entre le Bien et le Mal. Le Bien est incarné par un Peuple idéalisé (clairvoyant, vertueux, généreux, homogène,...). Le Mal par une figure de l'Autre, (s'agissant du national-populisme : l'Etranger, l'Immigré, l'Arabo-musulman, le Noir, le Juif...; s'agissant du social-populisme : le Bourgeois, le Riche, les Patrons suceurs de sang.) Dans ce combat, un troisième larron tient la place de l'ennemi en second : c'est l'Elite, égoïste, cupide et incompétente (l'Establishment, les "Sachants", la Technocratie, la "Classe politique") qui trahit le Peuple et fait le jeu de ses ennemis.

La solution consiste à substituer à ces élites félonnes le pouvoir du Leader et de ses fidèles qui expriment le génie du peuple et sauront défendre ses intérêts.

En période de prospérité économique et de progrès social, cette façon de voir et de faire de la politique ne rencontre que peu d'audience. La croissance engendre le plein-emploi et l'ascension sociale, la machine à intégrer les immigrés marche à plein régime, la sécurité publique et privée sont assurées. La conception rationnelle de la politique prévaut, qui vise à rendre progressivement possible ce qui est souhaitable, en tenant compte des contraintes objectives et des contradictions entre intérêts divergents.

En période de crise économique et de régression sociale au contraire, les partis populistes, et en premier lieu les partis national-populistes, ont le vent en poupe.

Leur xénophobie gagne en efficacité politique et en rendement électoral.

Les habits neufs de l'extrême-droite

Modernité oblige, dans les démocraties développées d'Europe de l'Ouest et du Nord, elle a changé d'argumentation : de biologique et raciale, elle est devenue culturelle.

L'immigré ne doit plus être renvoyé dans sa brousse ou dans son douar d'origine parce qu'il est un être inférieur et pernicieux qui menace la pureté de la race. Il doit l'être parce qu'il vole le travail des nationaux et veut leur imposer sa culture rétrograde : ses minarets, son hijeb, sa burqua, sa cuisine hallal, sa misogynie, son homophobie, sa Charia.

A la xénophobie classique à fondement social et ethnique, qui s'adresse aux classes populaires, s'ajoute désormais une xénophobie moderne à fondement culturel, qui vise plus particulièrement les classes moyennes éduquées.

"Nous ne nous sommes pas battus si longtemps pour la liberté sexuelle, l'égalité hommes-femmes, la liberté d'opinion", disait Pim Fortuyn, le fondateur du parti populiste néerlandais LPF, homosexuel assumé lui-même, "pour supporter aujourd'hui que les islamistes nous disent comment il est licite ou illicite de faire l'amour, comment les femmes doivent se vêtir, quel rôle ou non elles peuvent tenir dans la société..."

La nouvelle extrême-droite pratique la "triangulation" : c'est désormais au nom de la défense des conquêtes de la gauche -la laïcité, l'Etat providence, la liberté des mœurs- qu'elle préconise ses politiques d'exclusion, nationalistes et xénophobes.

En réalité, ses boucs émissaires et ses ennemis sont toujours les mêmes : les immigrés, ces parasites qui vivent à nos crochets et nourrissent l'insécurité; les musulmans inassimilables et réceptifs à l'islamisme; les élites mondialisées qui leur ouvrent grand nos portes; la bureaucratie bruxelloise, qui prétend imposer aux peuples ses diktats cosmopolites et défaire les nations...

Sa défense de la laïcité est une machine de guerre contre la religion musulmane. L'Etat providence qu'elle chérit est réservé aux nationaux.

L'anti-islamisme, le nationalisme xénophobe, l'autoritarisme répressif sont devenu le fonds de commerce de cette nouvelle extrême-droite.

Parce qu'elle est foncièrement xénophobe, intolérante et sous un mince verni, raciste, l'extrême-droite, nouvelle ou classique, ne fait pas partie de l'Arc républicain.

Un cordon sanitaire des forces démocratiques et républicaines doit être élevé autour d'elle et toute alliance électorale avec elle doit être prohibée. Le passé récent a prouvé que toute complaisance à son endroit se faisait à son profit, en levant l'interdit humaniste sur l'égale dignité des personnes et leur égalité en droit.

Mais la stigmatisation morale ne suffit pas. Au contraire, si l'on s'en tient là, elle s'avère rapidement contre-productive.

La lutte contre l'extrême-droite doit s'affirmer aussi à deux niveaux complémentaires.

Réfuter le programme du FN

En premier lieu, il faut réfuter systématiquement et soigneusement les propositions du Front national, démantibuler ce qui lui tient lieu de programme, montrer que l'application, même partielle, de ce programme plongerait notre pays dans le chaos et le malheur.

Sortir de l'Euro, rétablir le Franc entraineraient une dévaluation de notre monnaie d'au moins 25%, sans doute de beaucoup plus, car en ce domaine ce sont les marchés qui décident en fonction de leur appréciation générale des perspectives de la société et de l'économie française gouvernées par des protectionnistes.

Notre dette, libellée en Euro et en dollars, passerait ipso facto de 2000 à 2500 milliards d'Euros ; le taux d'intérêt de nos emprunts à 10 ans passerait de 2% à 6% ou plus. La charge de notre dette deviendrait insupportable et nombre de banques et d'entreprises seraient vouées à la faillite. La faible croissance que nous connaissons aujourd'hui se muerait en dépression, le chômage atteindrait des niveaux méditerranéens...

D'après Peter Vanden Houte, chef économiste d'ING, une sortie unilatérale de la France de l'Euro entrainerait une contraction de son PIB de 4% la première année et de -10% sur 3 ans, entrainant son taux de chômage officiel à 14%.

C'est parce qu'ils savent cela que les gouvernements grec, italien, portugais, espagnol, pourtant soumis par la Troïka à un traitement de cheval, sont hostiles à la sortie de l'Euro.

L'institution à nos frontières de hautes barrières douanières et de quotas d'importation entraînerait des rétorsions de nos partenaires commerciaux européens (70% de nos exportations) et mondiaux. Les 4 millions de salariés français qui travaillent pour l'export prendraient le chemin de Pôle Emploi. Ils seraient bien plus nombreux en réalité, car l'augmentation des taxes douanières frapperait les composants importés qui entrent dans la fabrication des produits made in France. Aujourd'hui la chaîne de production s'est internationalisée et c'est pourquoi le protectionnisme à l'ancienne induit plus d'effets pervers que d'effets vertueux.

Il faut, à contrario, sauver l'Euro en élargissant les missions de la Banque Centrale Européenne, qui doit devenir une banque complète comme la FED américaine, la banque d'Angleterre ou la banque du Japon. Il faut doter l'Union économique et monétaire (UEM) d'un véritable gouvernement économique, et la rendre ainsi capable de mettre en œuvre des politiques contra-cycliques. Et doter l'Union d'un budget digne de ce nom ...

En second lieu, le renvoi des travailleurs immigrés et la discrimination à l'encontre des étrangers résidant en France seraient désastreux.

En raison de leur vieillissement accéléré et de leur démographie chancelante, les pays européens ont besoin d'un flux régulier de travailleurs immigrés. C'est une condition de leur retour à la croissance et du financement de leurs Etats providence. Ils doivent maitriser ce flux et assurer l'intégration des travailleurs immigrés et de leurs familles, non se donner l'objectif illusoire et suicidaire de « l'immigration zéro ». Dans cette intégration, l'Ecole républicaine a toujours joué un rôle déterminant et doit le retrouver. La politique du Logement, de la Ville, les associations doivent assumer simultanément le leur.

Il n'est pas vrai que l'Islam est incompatible avec la démocratie, l'Etat de droit, la laïcité. Il ne l'est pas plus que ne l'étaient, il y a deux siècles, le catholicisme ou le judaïsme. Il peut et doit connaître la même adaptation à la modernité, comme le prouvent, au demeurant, les Printemps arabes.

Intégrer les immigrés

L'exclusion des immigrés de notre système de protection sociale serait calamiteuse, par ses conséquences sur la santé publique et la sécurité. Elle serait juridiquement inconstitutionnelle et moralement scandaleuse.

Les immigrés paient des impôts, taxes et cotisations sociales chaque année à l'Etat. Ils perçoivent en retour des transferts sociaux. D'après le ministère des Affaires sociales (rapport de X. Chonjnicki) la contribution nette de l'immigration en France est positive, elle s'élève à 3,9 milliards en 2012. Cette étude est corroborée par un récent rapport de l'OCDE repris par Le Monde, le 13 juin 2013, selon lequel le solde dépense/recettes de l'immigration est positif en moyenne dans les pays de l'UE et relativement faible. Il excède rarement 0,5% du PIB dans un sens, comme dans l'autre. L'âge moyen des nouveaux entrants est de 29 ans. Beaucoup d'entre eux n'ont pas coûté à l'Etat d'accueil de frais de petite enfance et de scolarisation. Beaucoup rentreront chez eux avant le grand âge et les coûts de dépendance.

Les travailleurs immigrés occupent les emplois les plus pénibles, les moins qualifiés, les plus mal payés, ceux dont les Français de souche ou de longue date ne veulent pas. Ils ne tirent pas non plus les salaires vers le bas. Une étude des économistes Javier Ortega et Gregory Verdugo atteste qu'une hausse de l'immigration de 10% entre 1962 et 1999 a eu pour effet d'accroître le salaire des Français de 3%, "notamment, selon eux, parce que l'immigration permet aux nationaux de grimper dans l'échelle des professions et de se rediriger vers des métiers mieux rémunérés".

Mais comme le disait Auguste Comte "on ne détruit vraiment que ce que l'on remplace". La réfutation en règle du programme du FN ne peut être efficace que si elle s'appuie sur nos propres propositions pour retrouver une nouvelle croissance, reconquérir une société de plein-emploi, garantir la sécurité publique et sociale, maîtriser les flux migratoires, intégrer les immigrés à notre société et à notre culture, relancer et réorienter la construction européenne...

Pour faire face à l'essor de la nouvelle extrême-droite, il faut s'attaquer aux causes profondes qui le nourrissent. C'est l'ambition des progressistes de ce pays et de ce continent, des partis, syndicats, associations, gouvernements qui les représentent et les mobilisent.

En février 2014, le parti des Socialistes européens adoptera son programme pour la prochaine mandature du Parlement de Strasbourg, en même temps qu'il élira son candidat à la présidence de la Commission européenne.

Ce programme proposera une politique de sortie de crise et d'approfondissement de la construction européenne alternative à la politique des conservateurs-libéraux aux commandes aujourd'hui dans toutes les institutions de l'Union.

Mais également une politique opposée au repli nationaliste et xénophobe, chacun sur son pré carré, que proposent les partis de la nouvelle et de l'ancienne extrême-droite.

Il appartient aux progressistes européens de convaincre que cette alternative est pertinente et qu'elle se trouve à portée de main, pour peu que les électeurs se saisissent de leur bulletin de vote afin de changer de majorité en Europe.

C'est la meilleure réponse que l'on puisse apporter à la montée du national-populisme sur notre continent. C'est l'objet de nos débats à l'Assemblée nationale, ce mercredi 18 décembre.