Europe : « Grexit ordonné » ou « big push » ?

L’accord du 13 juillet conclu entre Alexis Tsipras et le Conseil européen évite le pire – une sortie en catastrophe de la Grèce de la zone euro – et permet de gagner du temps. Son sens ultime sera donné par ce à quoi ce sursis aura été employé.


Ce délai peut servir à préparer un « Grexit ordonné ». Une majorité de chefs d’Etat et de gouvernement de l’Eurozone se sont ralliés au compromis voulu par François Hollande, initialement très minoritaire, parce que celui-ci les a convaincus qu’une sortie non maîtrisée de la Grèce serait catastrophique non seulement pour ce malheureux pays, mais aussi pour l’Union européenne dans son ensemble. « Cela va vous coûter deux fois plus cher ! » fut l’argument matutinal qui emporta la décision.
En revanche, nombre de ces premiers ministres restent persuadés que le gouvernement Syriza ne peut pas réussir et plusieurs d’entre eux ne le souhaitent pas. « C’est la dernière tentative », a prévenu Wolfgang Schaüble à propos du troisième plan d’aide de 86 milliards d’euros consenti par les créanciers. Ceux-là préparent un « Grexit en douceur », dans quelques mois ou quelques années.
Ce temps gagné par l’accord du 13 juillet peut servir, aussi, au contraire, à créer les conditions d’une croissance durable de la Grèce et à la consolidation d’un Etat moderne dans ce pays. C’est l’ambition de François Hollande et des chefs de gouvernement – Matteo Renzi , Charles Michel… - qui l’ont aidé à imposer l’accord. Angela Merkel, comme souvent, oscille entre les deux positions, et penchera pour la seconde si la France et ses alliés se montrent convaincants.
Pour promouvoir une nouvelle croissance en Grèce, il faut, certes, à nouveau restructurer la dette, afin qu’une partie substantielle des recettes budgétaires puisse aller à l’investissement et non au remboursement des intérêts et des prêts venus à échéance. Mais il faut aussi et surtout que l’Union européenne et ses principaux Etats membres investissent massivement dans l’économie hellène. Nous devons exiger que le Plan Juncker, adopté par le Parlement européen le 24 juin, soit rapidement mis en route et que la Grèce en soit la première bénéficiaire. L’UE peut et doit aider la Grèce à développer les énergies renouvelables (solaire, éolienne, marine… ) et relier leurs productions au cœur du continent. Elle peut et doit investir dans le tourisme, les nouvelles industries numériques, l’agro-alimentaire, les transports, la santé, l’Education, la recherche… Si le Plan Juncker n’y suffit pas, les fonds structurels européens, les obligations européennes dédiées à des projets, la Banque européenne d’investissement, y suppléeront.
Simultanément, l’UE doit porter assistance à la Grèce dans la construction d’un Etat capable de lever l’impôt et d’éradiquer le clientélisme, la corruption, l’économie de rente.
La Grèce, comme le Portugal et sans doute aussi l’Espagne, ont besoin d’un « big push », orchestré par l’Europe. Et celle-ci a besoin de réparer les « vices de construction » initiaux de la zone euro : élargir les missions de la BCE pour en faire une banque centrale complète, payeur en dernier ressort, soucieuse de croissance et d’emploi autant que de stabilité monétaire. Doter l’Euroland de capacités budgétaires et de stabilisateurs automatiques, en commençant par une assurance chômage à 19 ; d’un budget digne de ce nom, aussi, et d’une organisation parlementaire spécifique.
Le « Grexit ordonné » voulu par la droite européenne, mais aussi par une partie de l’extrême gauche, constitue la ligne de la plus grande pente et bénéficie des forces d’inertie. Il est justiciable de toutes les critiques faites au « Grexit  sauvage », auquel nous venons d’échapper : souffrances additionnelles imposées au peuple grec, prises de risque géopolitiques inconsidérées, affaiblissement du projet européen.
L’intégration durable de la Grèce à la zone euro est un objectif autrement plus ambitieux et positif. Si François Hollande convainc Angela Merkel et une majorité de ses homologues européens de le mener à bien, notre Union aura fait un grand pas en avant.

Henri Weber, directeur des études auprès du premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes