Et maintenant, s'attaquer aux vices de construction de l'Euroland

La crise grecque, mais aussi celles, nullement résorbées, d’autres pays de la périphérie européenne, illustrent l’inefficacité dévastatrice de la politique d’austérité généralisée mise en œuvre en Europe depuis 2009 par les conservateurs libéraux.


L’idée que l’austérité ramènera la confiance des investisseurs, et que le retour des investisseurs relancera la croissance, s’est avérée dramatiquement fausse et a conduit l’Union européenne au seuil de la déflation. L’austérité synchronisée a noyé le moteur de la demande, et l’atonie de la demande a dissuadé les investisseurs. Il a fallu l’audace iconoclaste de Mario Draghi, s’asseyant sur les Traités et rachetant chaque mois pour 60 milliards d’euros d’obligations d’ Etat et désormais aussi, d’entreprises, pour nous éviter le pire. Simultanément, le nouveau président de la BCE, Jean-Claude Juncker, a fait de la relance de la croissance par l’investissement la priorité de sa mandature et assoupli les rythmes du retour à l’équilibre budgétaire des états surendettés. C’étaient les conditions posées par les députés socialistes européens au soutien de sa candidature à la tête de la Commission.
Mais la menace du « Grexit » a mis aussi en évidence les contradictions de l’Union européenne et les « vices de construction » initiaux de la zone euro.

Contradictions de l’Europe à 28

L’Union européenne n’est pas encore, il s’en faut de beaucoup, une fédération, elle n’est pas les « Etats-Unis d’Europe », même si elle est déjà plus qu’une simple confédération d’ Etats indépendants. Elle rassemble 500 millions de citoyens, plus ou moins conscients de leur interdépendance, et 28 Etats membres, tous jaloux de leur souveraineté et de leurs intérêts nationaux. Elle est une entité politique hybride, en transition. Sur toutes les questions qui fâchent—la fiscalité, la politique économique, la protection sociale…--, elle décide à l’unanimité. C’est dire qu’elle décide peu et, souvent, trop tard. Tant que  la croissance était au rendez vous, et les menaces géopolitiques aux abonnés absents, cette impotence relative était supportable. Mais depuis les années 2000 nous sommes entrés dans une zone de tempête : émergence des grands émergents et troisième révolution industrielle. L’économie, comme la politique, ayant horreur du vide, les gouvernements ont apporté une réponse étroitement nationale à ces nouveaux défis. Les Allemands ont conclu un « compromis mercantiliste » entre la CDU et le SPD, le patronat et les syndicats, pour préserver la puissance industrielle et exportatrice du « site Allemagne ». Les Britanniques ont choisi d’attirer par une fiscalité complaisante les capitaux et les fortunes du monde entier pour asseoir la puissance financière de la City. Les  Espagnols ont surinvesti dans l’immobilier au soleil, pour devenir la Floride de l’Europe… L’accélération de la mondialisation et de la révolution numérique appelaient au contraire une réponse européenne, coordonnant, harmonisant et complétant les politiques économiques nationales. Les conséquences de ce « chacun pour soi » ont été une croissance molle et un chômage élevé, frappant en particulier les économies les plus faibles.
 
Vices de construction

La zone euro constitue, de surcroît, une zone monétaire unifiée « non optimale » : Elle dispose d’une monnaie unique, qui prive ses Etats membres de l’arme de la dévaluation pour recouvrer leur compétitivité. Mais elle ne dispose ni d’un gouvernement économique, capable de mettre en œuvre une politique de développement continentale ; ni d’une banque centrale complète, semblable à la FED américaine ; ni d’un budget digne de ce nom ; ni d’une fiscalité et d’un système de protection sociale harmonisés.
Dans ces conditions, la monnaie unique et le marché intégré favorisent, non pas la convergence des économies nationales vers le haut, mais la bipolarisation territoriale et la divergence des compétitivités : l’investissement productif va aux pays et aux régions déjà  les plus industrialisées, là où existe un écosystème économique de l’innovation et du développement ; et déserte les pays les moins industrialisés, qui se désindustrialisent encore davantage.
Pour qu’il en soit autrement, il faut combiner des politiques nationales coopératives et une stratégie macroéconomique européenne : mettre en œuvre un programme continental de relance par l’investissement beaucoup plus ambitieux que l’actuel « plan Juncker » et assurant la transition écologique et numérique de notre continent ; transformer la BCE en banque centrale complète, soucieuse de croissance, d’emploi, autant que de stabilité monétaire, à l’instar de la FED américaine ; parachever l’ Union bancaire en instituant un troisième pilier, la garantie des dépôts des épargnants à hauteur de 100 000 euros  ; instituer un véritable budget européen, doté de ressources propres ; harmoniser progressivement la fiscalité et la protection sociale dans la zone euro ; mutualiser les dettes souverains, au-delà de 60% du PIB ; instituer une organisation politique de la zone euro, car plus de solidarité appelle plus d’intégration, et plus d’intégration exige plus de démocratie.
Régler le problème grec exige, au-delà de l’accord du 13 juillet, que les Européens s’attaquent aux contradictions et aux « vices de construction » initiaux de leur entreprise.  La crise grecque en souligne l’urgence et en offre l’occasion.

Henri Weber, directeur des études auprès du premier secrétaire du Parti socialiste, chargé des questions européennes